La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Ce qu’il faut dire, de Leonora Miano, mise en scène de Stanislas Nordey

Ce qu’il faut dire, de Leonora Miano, mise en scène de Stanislas Nordey - Critique sortie Théâtre Strasbourg Théâtre National de Strasbourg
Mélodie Pini dans Ce qu’il faut dire au TNS CR : Jean-Louis Fernandez

Théâtre National de Strasbourg / Texte de Leonora Miano / Mise en scène de Stanislas Nordey

Publié le 15 novembre 2021 - N° 293

Dans une mise en scène limpide de Stanislas Nordey, trois jeunes comédiennes talentueuses portent la parole de Léonora Miano,  réquisitoire contre l’Europe conquérante et les assignations en trois volets, dont le dernier invite à une forme de dépassement.

C’est une parole née d’un besoin de dire, d’interpeller, que Léonora Miano, a elle-même portée lors de récitals poétiques. Une parole en trois étapes que, comme elle le précise dans l’interview donnée à l’occasion de cette mise en scène, elle ne souhaite plus prendre en charge sur scène. Plusieurs fois primée, l’écrivaine est née au Cameroun, a grandi en France où elle a longtemps vécu avant de s’installer au Togo. Admiratif de son écriture, Stanislas Nordey a proposé à trois jeunes comédiennes talentueuses issues de l’École du TNS d’interpréter les trois monologues qui composent Ce qu’il faut dire, trois actrices « afropéennes« , selon la terminologie de l’auteure, ce qui signifie qu’elles ont des ascendants africains et vivent en Europe. Le texte fustige l’Europe prédatrice et conquérante, dont l’action colonisatrice, une « immigration non choisie », s’est prolongée par la domination des multinationales occidentales. Léonora Miano définit les assignations, ce que signifient les mots définis par les blancs « noir », « blanc », « Afrique ».  Limpide, la mise en scène est tout entière tournée vers la mise en valeur de l’adresse, des mots. Certains, visibles en fond de scène, (« assimilation », « les autres », etc) sont entourés de vives couleurs – le rouge et le bleu des puissances parmi d’autres voies. Sur scène, la percussionniste Lucie Delmas interprète une composition d’Olivier Mellano, participant pleinement à la partition théâtrale. Son visage projeté en gros plan, Ysanis Padonou interprète La question blanche d’une voix posée, calme, dans un murmure inversement proportionnel à la virulence du réquisitoire d’un « je » noir à un « tu » blanc, un « tu » qui s’est arrogé le droit de distinguer entre blanc et noir, une affaire de couleur bien commode « pour prendre position Occuper une place Te donner une mission Nous murer dans la race. » Pétillante, vive et assurée, Mélodie Pini interprète ensuite Le Fond des choses, rappelant l’épisode du Mayflower et la destruction des Amérindiens par des immigrés venus d’Europe, Europe qui a tracé à sa guise les frontières d’Afrique.

Trouver le chemin de la fraternité

Le troisième volet, aboutissement plus dialectique en forme d’ouverture, La Fin des fins, donne d’abord la parole à Maka, un homme plus âgé (Gaël Baron), qui raconte son « putain de rêve » de voir les statues et rues Colbert remplacées par celles de Louis Delgrès, Mafate ou Solitude. Il laisse ensuite place à une parole qui lui répond, qui propose une autre manière de se saisir de l’Histoire. « Et Si nous sommes en suspens, c’est de nous-mêmes que nous sommes en attente » dit la jeune fille par la voix et la belle présence d’Océane Caïraty.  « Il s’agit d’ôter ses chaînes à la grandeur, de refuser que se poursuive L’ensauvagement du monde ». Il est vrai qu’aujourd’hui le rapport à l’Histoire offre matière à débat, dans la manière dont il permet d’envisager le présent. Bloqué dans des crispations identitaires et autres, le décolonialisme donne lieu à de décevantes perspectives, qui ont enlisé une partie de la gauche et rétréci les luttes. Quant à d’autres, leur falsification de l’Histoire sert leur nostalgie du colonialisme et leurs fantasmes. Il n’est pas simple de trouver les vrais chemins de la fraternité.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Ce qu’il faut dire
du samedi 6 novembre 2021 au samedi 20 novembre 2021
Théâtre National de Strasbourg
1 Avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg.

tous les jours à 20h sauf le dimanche 7 et le samedi 20 à 16h. Relâche les 8, 14 et 15 novembre. Tel : 03 88 24 88 24.

Également à la MC2:Grenoble, du 5 au 7 avril 2022. À la Comédie, Scène nationale de Clermont-Ferrand du 3 au 5 mai 2022.

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre