La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre musical/critique

La Vallée de l’étonnement, d’après la pièce de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne / composition musicale Alexandros Markeas, livret et mise en scène Sylvain Maurice, direction Laurent Cuniot

La Vallée de l’étonnement, d’après la pièce de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne / composition musicale Alexandros Markeas, livret et mise en scène Sylvain Maurice, direction Laurent Cuniot - Critique sortie Théâtre Sartrouville Théâtre de Sartrouville et des Yvelines
© Christophe Raynaud de Lage La Vallée de l’étonnement (photo de répétition)

Théâtre de Sartrouville et des Yvelines/Maison de la Musique de Nanterre

Publié le 10 novembre 2021 - N° 293

Sylvain Maurice et Alexandros Markeas s’inspirent de la pièce de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne pour créer autour du prodige Sammy Koskas une forme opératique qui allie à merveille les effets du théâtre et de la musique. Avec Agathe Peyrat, formidable dans le rôle de Sammy, et l’Ensemble TM+ dirigé par Laurent Cuniot.

Que signifie être un phénomène ? Est-ce être inadapté, suradapté, dysfonctionnel, hyperfonctionnel ? Est-ce constituer un cas d’école pour la science face à des aptitudes neurologiques inexplicables ? Qu’en est-il de la dimension affective et émotionnelle de l’être ? Dans sa libre adaptation de The Valley of Astonishment, pièce écrite et mise en scène par Peter Brook et Marie-Hélène Estienne en 2014, qui clôtura un cycle de créations sur le cerveau – inauguré par L’Homme qui d’après Oliver Sacks, suivi par Je suis un phénomène d’après Alexandre Luria  –, Sylvain Maurice ajoute un épisode né de la résurgence d’un souvenir enfoui. Il éclaire ainsi de manière facétieuse et émouvante les tensions entre performance cognitive et fragilité intime, entre la mémoire opérationnelle et la mémoire blessée de l’enfance, entre ce que définit le regard des autres et ce qu’on ressent à l’intérieur, pour peut-être retrouver au bout du chemin une forme de sens, de vérité, en s’échappant des prisons mentales. Le dramaturge et metteur en scène a choisi dans le prolongement de son travail habituel de façonner un théâtre musical pour rendre compte de l’étrangeté de Sammy Koskas, synesthète associant sans cesse sons, images, et autres expressions sensorielles (tel un 7 moustachu…). Cette forme opératique minimaliste réussit la prouesse de conjuguer harmonieusement  le parlé et le chanté, parvient à entrelacer les univers sonores et visuels de manière dynamique et limpide, en une balade synesthésique touchante, parfaitement orchestrée, qui ouvre vers d’autres possibles qu’une exploration des méandres du cerveau, en soulignant l’importance d’une richesse psychique résiliente.

Apprivoiser la mémoire de l’enfance

Reconnu un jour d’avril comme phénomène, Sammy Koskas grandit et devient un mentaliste renommé. « Welcome to the magic show ! » Ses paillettes étincelantes, ses tonnerres d’applaudissements… Bientôt, l’accumulation de représentations l’accable et sature sa mémoire. « Je n’utilise pas mon cerveau, c’est mon cerveau qui m’utilise. » dit sobrement Sammy. Lorsqu’il s’extirpe enfin des exigences de la performance, ressurgit un souvenir douloureux de l’enfance. Comme le phénix du poème persan de Farid al-Din Attar La Conférence des oiseaux, le phénix aussi de la berceuse chantée par sa mère lorsqu’il était petit, Sammy renaîtra-t-il de ses blessures ? Dans le rôle de Sammy, la soprano Agathe Peyrat fait la preuve de son talent de chanteuse autant que de comédienne. Laissant voir toute l’amplitude des émotions qui le traverse, elle l’interprète avec une fraîcheur et un sens du rythme épatants. Pour l’accompagner les deux médecins incarnés par Vincent Bouchot et Paul-Alexandre Dubois, quasi burlesques et fort peu secourables, sont formidables, et Philippe Cantor dans le rôle de l’imprésario est parfait. La composition d’Alexandros Markeas, avec qui le metteur en scène a créé Désarmés (2017), est impressionnante. Écho à la frénésie mnémotechnique de Sammy, les notes d’abord caracolent en une course vive, puis se font discrètement déchirantes. Partagés en deux trios de chaque côté de la scène, les musiciens de l’Ensemble TM+ sont dirigés avec une précision millimétrée par Laurent Cuniot. Mêlant sens et beauté, la superbe vidéo sans cesse en mouvement signée Loïs Drouglazet, soutenue par les lumières de Rodolphe Martin, sert de liant à l’ensemble. La fable en forme de voyage au centre de soi interpelle : pourrions-nous échapper au catastrophisme ambiant et faire confiance aux capacités de transformation de nos cerveaux ?

Agnès Santi

A propos de l'événement

La Vallée de l’étonnement
du mardi 9 novembre 2021 au vendredi 12 novembre 2021
Théâtre de Sartrouville et des Yvelines
Place Jacques Brel, 78500 Sartrouville.

Les 9, 10 et 12 novembre 2021.Tél : 01 30 86 77 77. www.theatre-sartrouville.com

Durée 1H15.

Autres dates :

Également le 19 novembre à 20h30 à La Maison de la Musique de Nanterre. www.maisondelamusqiue.eu. Tél 0141379421. Le 26 novembre à 20h à l’Opéra de Massy. www.opera-massy.com. Tél 0160131313.

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