Métropole
A la manière de La Vie mode d’emploi ou de [...]
L’adaptation-transposition, signée par le metteur en scène Jacques Vincey, de cette fresque contemporaine culte où le dramaturge Joël Pommerat démystifie l’amour pour le rendre à lui-même en une vingtaine de fragments décapants, est une belle réussite. Une belle redécouverte.
Il a fallu une certaine forme de courage artistique au metteur en scène, Jacques Vincey, pour porter sur les planches l’une des pièces phares de l’auteur, écrivain de plateau et metteur en scène contemporain, Joël Pommerat. D’autant que la création de La réunification des deux Corées, en son temps (et il n’y a pas si longtemps), avait fait événement, largement saluée par le public et la critique. L’actuel directeur du Centre Dramatique National de Tours confesse d’ailleurs, qu’en dépit de son envie de s’emparer de ce texte-là, il ne se serait sans doute pas lancé dans l’entreprise, s’il n’avait été sollicité par Ong Keng Sen, directeur artistique de la compagnie singapourienne TheaterWorks, pour former et réaliser un projet avec les acteurs de sa troupe et dans son théâtre. « Mon déplacement dans une autre réalité géographique, linguistique, culturelle » explique Jacques Vincey, « a estompé mon souvenir de la création en France et m’a incité à repartir de la trace que laisse le spectacle sur le papier, à prolonger le geste artistique initié par Pommerat en réécrivant dans ses propres mots, à Singapour, une histoire qui nous réunit d’un continent à l’autre dans les zones troubles de l’amour et des vertiges de la séparation ».
Des acteurs épatants
La portée universelle du poème dramatique original, lequel comme tout grand texte appelle sa traduction, trouve dans cette transposition culturelle singulière matière à recréation et s’enrichit, concrètement, de la forme colorée et frontale que lui donne, non sans tact et avec force, Jacques Vincey. Le remarquable travail de traduction effectué par Marc Goldberg sur le texte sert de point d’appui. Toutes les subtilités stylistiques, poétiques, sont restituées dans le rythme propre à la langue anglaise dont on sait la capacité à condenser le propos ; capacité qui sert merveilleusement l’acuité du regard de l’auteur, son verbe à la fois tendre et distancié, son réalisme noir teinté d’humour libérateur. Les neufs comédiens de la troupe singapourienne, reflétant le caractère multiculturel de la population de la Cité-Etat insulaire, déploient leur jeu avec le talent de ceux qui parviennent à faire oublier que, précisément, ils jouent. Au gré des tableaux, bénéficiant des éclairages raffinés de Marie-Christine Soma, ils sont spectateurs, assis sur la rangée de chaises en fond de scène, ou acteurs. Ils servent le kaléidoscope de saynètes mobilisant cinquante-deux personnages de façon épatante, changeant de peau à volonté, en attrapant sur les cintres les costumes mis à leur disposition de part et d’autre d’un plateau enserré par un échafaudage et resserré par une estrade bleutée. Estrade sur laquelle ils montent comme sur un ring, un ring dépourvu de cordes, celui des boxeurs de l’amour et de ses gueules amochées.
Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens
Le mercredi, jeudi et vendredi à 20h, le samedi 1er décembre 2018 à 18h. Spectacle en anglais surtitré en français. Durée : 2h. Tél : 01 41 60 72 72. Tournée en cours. Spectacle vu au Théâtre Olympia, Centre Dramatique National de Tours.