La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Règle du jeu

La Règle du jeu - Critique sortie Théâtre Paris La Comédie-Française
Légende : La Règle du jeu à la Comédie-Française. CR : Christophe Raynaud de Lage

Comédie-Française / d’après Jean Renoir / Christiane Jatahy

Publié le 21 février 2017 - N° 252

La lutte des classes se la joue classe. Avec sa Règle du jeu inspirée du film de Jean Renoir, Christiane Jatahy ravit et détonne en pleine Comédie-Française.

A peine assis dans son fauteuil, un début en fanfare : sur l’immense écran de cinéma qui barre la scène de la salle Richelieu, défilent les limousines avec chauffeur, d’où sortent en robes et costumes du soir des hommes et des femmes qui s’engouffrent à leur tour dans la Comédie-Française pour une réception joyeuse et mondaine. On reconnait au passage bien des acteurs du Français, et surtout on rit des affectations de l’entre-soi, des manières de ce microcosme au crépuscule évoqué par Jean Renoir dans La Règle du jeu. En salle, un large parterre d’invités, membres d’une société parisienne bourgeoise, peuple les rangs en cette soirée de générale de presse. Il ne dépare pas de la société représentée à l’écran. Christiane Jatahy aime rapprocher la fiction du réel. Ici, une société en bout de course, avec général, domestique et braconnier, est transposée, transportée au théâtre. En salle, elle se regarde plein écran. Le parallèle est évident et jouissif. L’audace de Christiane Jatahy redouble celle d’Eric Ruf. Celui qui dirige la vénérable institution a programmé cette artiste brésilienne dont le théâtre iconoclaste, aux dispositifs mêlant théâtre et cinéma, s’aventure aussi du côté du social. Après Ivo van Hove ou Julie Deliquet, il confirme ainsi sa volonté de faire bouger une maison qui ne veut plus se laisser enfermer dans la tradition. On jubile.

Une société s’apprête à disparaître

On sera certes un peu déçu que la satire ne soit pas plus poussée. Du film de Renoir tourné en 1939, l’inquiétante étrangère autrichienne devient ici femme d’origine arabe. Le domestique alsacien, agent de sécurité noir. Le héros aviateur, un navigateur sauvant des migrants en pleine Méditerranée. L’utilisation de la caméra esquisse un propos sur l’image dans nos sociétés, le rapport à la vérité, à l’intimité. Rien de bien neuf de ce côté. Parce que Christiane Jatahy a surtout poursuivi ses expériences pour mêler au mieux le théâtre et le cinéma. Au film initial qui nous fait visiter les couloirs et coulisses de la somptueuse Comédie-Française succède donc l’arrivée des acteurs sur scène et dans la salle. Le public est au milieu de la fête, il en est l’acteur aussi, dans une représentation qui brise le quatrième mur et flirte avec l’impro et la performance. Les acteurs du Français semblent y prendre énormément de plaisir, et nous aussi. C’est drôle, inventif, baroque et parfaitement interprété. Projetant son image sur des pans de mur, la caméra continue à tourner et révèle les amours illicites qui animeront cette histoire inspirée à Renoir par Les Caprices de Marianne de Musset. Juste retour des choses que de retrouver donc cette trame au théâtre. Si au final, le respect du scénario semble un peu trop régler la dramaturgie, le spectacle n’en demeure pas moins extrêmement jouissif. Au salut, certains s’interrogent, font la moue, applaudissent du bout des doigts, un peu choqués de ce théâtre hybride et insolent. Le parallélisme entre la scène et la salle se fait jusqu’au bout.

 

Eric Demey

A propos de l'événement

du mardi 21 février 2017 au jeudi 15 juin 2017
La Comédie-Française
1 Place Colette, 75001 Paris, France

Jusqu’au 15 juin, en soirée à 20h30, en matinée à 14h. En alternance, se référer au site de la Comédie-Française. Tel : 01 44 58 15 15. Durée : 1h40

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