Même pour ne pas vaincre
Dans le cadre du cinquantenaire de [...]
Anna Nozière et ses fidèles continuent leur étonnant travail théâtral, et proposent une curieuse pépite qui interroge les fondements et les conditions de la création avec malice et talent.
La Petite est née sur scène. Sa mère, comédienne, est morte en la mettant au monde. Le théâtre est devenu son giron de substitution, et elle est demeurée fidèle à son hérédité en reprenant le flambeau maternel : elle est comédienne. Enceinte à son tour, elle subit une curieuse maladie, qui la transforme en bête de foire : le fœtus qu’elle porte a cessé de grandir sans cesser de vivre, et il attend, pour reprendre sa croissance et enfin naître, que sa génitrice soit prête à devenir mère. « Faire le deuil de ce qu’on n’a pas eu pour pouvoir l’offrir à un enfant » : voilà le paradoxe que Jennie doit résoudre, d’après Anna Nozière. Le fonds anthropologique et psychologique auquel emprunte la dramaturge, de manière adroite et subliminale, n’a rien de très original. L’écriture, qui repose sur des litanies minimalistes, des paraboles parfois simplettes et des viatiques existentiels de bon sens, ne révolutionne pas non plus la littérature dramatique. La pièce est à l’image des productions intellectuelles de notre époque : celles d’un égocentrisme sincère mais naïf, où le récit de soi oscille entre le gentillet et le haïssable.
Une pièce sauvée par le plateau
Reste le théâtre, qu’Anna Nozière et les siens investissent en athlètes aguerris des retournements et des mises en abyme. La troupe de comédiens joue à vaciller dans le jeu ; l’illusion se défait et les comptes se règlent autour de la légitimité de la distribution et la crédibilité du texte. La scène de rupture est, à cet égard, réussie et drôle. Le théâtre et l’introspection y sont pris à leur propre piège, et l’on pourrait même voir suggérées les limites de l’antienne psychologique du moment sur la résilience et sa morale de vainqueur. Les acteurs sont justes dans le ton, très précis dans l’adresse, et parfaitement crédibles dans la composition psychologique des personnages. La scénographie, les lumières et l’univers sonore organisent ensemble un espace qui va et vient entre réalisme et onirisme, et les univers créés sont adroitement suggestifs. L’ensemble constitue un spectacle joliment agencé et intensément investi. Reste à se laisser embarquer dans ce récit d’initiation pour petites filles en boutons…
Catherine Robert
Dans le cadre du cinquantenaire de [...]