La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Petite Catherine de Heilbronn ou l’Epreuve du feu

La Petite Catherine de Heilbronn ou l’Epreuve du feu - Critique sortie Théâtre
© Richard Schroeder Légende photo : Julie-Parmentier(Catherine) et Jérôme Kircher(Le Comte Wetter von Strahl)

Publié le 10 novembre 2009

André Engel retrouve Kleist plus de vingt ans après sa mémorable mise en scène de Penthésilée. Il signe un spectacle efficace servi par une belle distribution, qui porte ce poème mystique comme un feuilleton amoureux.

L’essentiel est parfois ce qui résiste au méthodique dépeçage de la raison… comme un brûlant mystère qui s’enfuit dans les méandres songeurs du cœur, l’ombre tenace d’une certitude qui dépasse l’entendement et suggère l’intuition d’un absolu. Un indicible, pourtant fiché profondément dans l’âme. Sans doute est-ce cet éclat singulier qui fascine dans La Petite Catherine de Heilbronn, pièce que Kleist (1777-1811) écrivit en 1810, un an avant de se donner la mort avec sa compagne, Henriette Voguel. Pourquoi en effet le jeune Catherine, fille d’un simple armurier, a-t-elle un jour tout quitté pour suivre, par-delà les plaines humides et les forêts ténébreuses, le Comte Wetter von Strahl, avec la conviction de l’épouser ‘ Est-elle possédée par le démon ou veillée par les anges ‘ Innocence ou bien sorcière ‘ D’où vient sa volonté inébranlable, ce don de soi total ‘ C’est qu’un rêve tumultueux lui a révélé le visage de son bien aimé et que les songes connaissent mieux la vérité que les preuves illusoires du réel. Le Comte lui aussi cherche éperdument celle qu’il entraperçut dans le délire violent d’une nuit d’orage. Sauf qu’il s’égare en courtisant Cunégonde, beauté vénéneuse aux atours trafiqués par la magie des postiches.
 
Double quête amoureuse

L’histoire, touffue, coupée de rebondissements et d’extraordinaires dévoilements, tient du feuilleton sentimental, du roman policier ou encore du conte médiéval et de la ballade populaire. Par-delà cette croisée des genres, cette « Ordalie » tire son sublime chatoiement de sa puissance symbolique. Plus de vingt ans après sa mémorable mise en scène de Penthésilée, autre pôle de l’algèbre amoureuse de Kleist, André Engel affronte le défi et s’attelle donc à cette difficile Petite Catherine de Heilbronn. Son adaptation recentre l’intrigue sur les péripéties des deux amants – gommant souvent les ruptures de langue entre la prose et les vers. Le décor, d’une grandiloquence gothique, distille une atmosphère romantique aux tonalités « Sturm und Drang », hantée de brumes inquiétantes et d’encres sombres. Circulant parmi ces ruines monumentales, les comédiens mènent le jeu avec ferveur. La frêle Julie-Marie Parmentier donne toute sa grâce d’elfe à la petite Catherine, Jérôme Kircher (Wetter von Strahl) sait osciller entre brutalité et bonté, doute et détermination. Tom Novembre a la droiture du fidèle Gottschalk, Evelyne Didi (Brigitte) la bonté généreuse d’une nourrice, Jean-Claude Jay (L’Empereur) la noblesse d’un souverain et la belle Anna Mouglalis (Cunégonde) la méchanceté d’une cruelle intrigante. Tous restent toutefois dans le costume conventionnel de ces personnages typifiés. On gagne certes en suspens et en lisibilité de la fable. On perd le sens de l’énigme ultime, le vertige de ce poème mystique : le pouvoir de l’invisible, qui règne, quelque part dans l’entre-deux du songe, ou dans les plis du conscient, cette quête éperdue de l’amour, à jamais égaré dans l’autre monde.
 
Gwénola David


La Petite Catherine de Heilbronn, de Kleist, adaptation et mise en scène d’André Engel, du 2 décembre au 31 décembre 2009, à 20h, sauf dimanche à 15h, relâche lundi, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, Bd Berthier, 75017 Paris. Rens. 01 44 85 40 40 et www.theatre-odeon.fr. Durée : 2h30.

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