La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Pensée, la Poésie et le Politique (Dialogue avec Jack Ralite), Christian Gonon rappelle avec la force de l’évidence les principes, les exigences et la nécessité d’une politique culturelle digne de ce nom

La Pensée, la Poésie et le Politique (Dialogue avec Jack Ralite), Christian Gonon rappelle avec la force de l’évidence les principes, les exigences et la nécessité d’une politique culturelle digne de ce nom - Critique sortie Théâtre Paris Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Christian Gonon, seul en scène avec Jack Ralite. © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Studio-Théâtre de la Comédie-Française / texte de Karelle Ménine et Jack Ralite / conception et interprétation Christian Gonon

Publié le 18 mai 2023 - N° 311

Puisant dans le dialogue entre Karelle Ménine et Jack Ralite, Christian Gonon rappelle avec la force de l’évidence les principes, les exigences et la nécessité d’une politique culturelle digne de ce nom.

 

Jack Ralite fréquentait les artistes en amis, rappelant sans cesse la différence entre le geste politique et la geste poétique et invitant hommes d’action et hommes de paroles à une écoute mutuelle et à un dialogue intelligent. La distinction, qu’elle soit intellectuelle ou morale, suppose toujours de savoir qui on est et à quoi l’on se doit. La confusion des ordres est tyrannie. Il faut donc que l’Etat et les arts forment un couple, dans lequel chacun respecte la singularité de l’autre. Il faut que le théâtre et le prince, ces « amants terribles », comme les appelait le regretté Robert Abirached, sachent éviter le mépris, l’instrumentalisation, l’inféodation et la servilité. Que reste-t-il de la culture quand elle tourne au divertissement ? De quoi se distrait-on lorsqu’on se plaît à ne jouir que de ce qu’on connaît déjà ? Que devient-on quand on refuse d’accueillir la semence féconde de l’étranger, sinon un onaniste étiolé et débile ? Le politique mesure-t-il les crimes qu’il commet contre l’esprit en réduisant les budgets qui permettent à la nation d’éclairer les citoyens ? Jack Ralite, défendant la culture comme ferment de la cohésion sociale, ne cessa jamais de poser ces questions. Christian Gonon les rappelle tout au long de son spectacle, avec, pour fil rouge, une « Lettre au président de la République française », filée de François Mitterrand à Emmanuel Macron. Lue, à la fin du spectacle, par le chœur des comédiens-français, elle résonne dans l’urgence de son actualité.

 Tendresse, fraternité, intelligence et résistance

 Christian Gonon n’imite ni ne singe le ministre, député, sénateur, maire d’Aubervilliers, initiateur des Etats généraux de la culture et spectateur assidu. S’il s’autorise quelques clins d’œil à certaines de ses marottes et tics de langage, il rend un hommage tout aussi vibrant à l’homme politique qu’aux poètes qui l’accompagnaient. Textes sublimes sur les « 20 et 3 qui donnaient leurs cœurs avant le temps », les « Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel » et l’énigmatique étranger amoureux des nuages : Aragon, Prévert et Baudelaire scandent le propos, fait d’anecdotes et de réflexions, créant un spectacle bourdonnant d’essentiel. Contre les « retards d’avenir » dont il dénonçait le risque, Jack Ralite ne se posait ni en optimiste béat ni en passéiste frileux. Convaincu que le « nous » est toujours plus fort que le « je », il agissait et poussait à l’action, en affirmant la nécessité du risque à prendre, des mains à tendre et des aventures à tenter. Contre la déploration effarouchée, contre les conservateurs réticents au partage, contre ceux qui préfèrent ne rien faire, demeure la conviction profonde d’une nécessité évidente : « renoncer au renoncement », et toujours « travailler ». Les combats de Jack Ralite sont loin d’être terminés, et sa disparition ne saurait les rendre obsolètes. Voilà pourquoi Christian Gonon fait œuvre de service public en disant sur scène, les souvenirs, textes et discours de cet homme toujours curieux et souvent ému, fervent de cet « élitaire pour tous » que revendiquait son « frère » Antoine Vitez. Une exception politique au service de l’exception culturelle, homme d’engagement allergique aux coteries, militant à la sacoche pleine de livres à donner, pourfendeur de « ceux qui se déclarent satisfaits parce qu’ils pactisent », comme disait René Char, camarade rouge tendre, comme dit Yves Jeuland. En poète, en politique, en spectateur, en humain soucieux de sa condition, il faut aller écouter Christian Gonon.

Catherine Robert

A propos de l'événement

La Pensée, la Poésie et le Politique (Dialogue avec Jack Ralite)
du mercredi 17 mai 2023 au dimanche 4 juin 2023
Studio-Théâtre de la Comédie-Française
galerie du Carrousel du Louvre, 99, rue de Rivoli, 75001 Paris

à 18h30. Relâches lundi et mardi. Tél. : 01 44 58 98 58.

Durée : 1h10

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