La Ronde de nuit
La surveillance d’un théâtre par un gardien [...]
Splendeur jubilatoire pour l’édification théâtrale de La Maison d’os de Dubillard, pleine de flammes et de sarcasmes dans une vie de théâtre.
« Armstrong, un jour, tôt ou tard, On n’est que des os… » (Claude Nougaro). Si l’on s’en tient à la verve mordante de Roland Dubillard, bâtisseur satirique de demeures, La Maison d’os (1962) désigne la métaphore de la mort mais aussi le vivant au-delà de la vie. Les ossements évoquent un destin, la durée de la vie et de la mort, le travail du temps et son passage vers l’éternité. Cette danse des restes humains est plutôt macabre même si les précieuses reliques célèbrent les plaisirs éphémères d’ici-bas, des peintures de vanités. Vu son grand âge, Monsieur s’inquiète de son Moi qui disparaîtra bientôt, il aimerait se représenter le dedans incohérent de sa maison et regarder la chose du dehors, lui qui est à l’intérieur. Entre Beckett et Ionesco, la réponse du Valet fuse : « Le dedans d’une chose, sitôt qu’on y entre, on ne peut plus, Monsieur, regarder cette chose du dehors. » Paradoxe de l’existence. L’enthousiasme moqueur de cette parole est repris par les facéties d’Anne-Laure Liégeois, passeuse inspirée d’un art de l’absurde. La scénographie privilégie une vision élisabéthaine avec grand escalier d’apparat qui mène à l’étage de Monsieur. Les marches monumentales sont un signe du pouvoir dans des teintes grises où trainent çà et là des vestiges de velours rouge, un rappel de l’organisation du théâtre.
Une multitude de valets porteurs de servantes à lumière
L’existence, le monde, le théâtre, un même combat hasardeux. Pierre Richard joue ce Maître en Roi Lear arpentant sa lande, cape de souverain sur le dos et agrippé à son épouse défunte, figurée par une bûche de bois. Il soliloque ou s’adresse à l’un de ses serviteurs qui, de leur côté, s’entretiennent de leur tyran. Les rôles sont répartis selon la hiérarchie de l’ordre social. Au pied de l’escalier, dans les recoins sombres, évolue une multitude de valets porteurs de servantes à lumières, de bougies et de plateaux d’argent dans un décor gothique de corbeaux empaillés et d’horloges normandes. Tous errent, au coeur des bruits de canalisations, des fuites d’eau, de la pluie, des murs fissurés dans la poussière. Les Valets – habit strict, gilet et nœud papillon noirs, chemise blanche -, sont joués par des comédiens stylés, bien à leur affaire : Sharif Andoura, Sébastien Bravard, Olivier Dutilloy et Agnès Pontier. Celle-ci porte sur le chef une tête de mort, l’origine de l’imagination, le crâne de Yorik. Sur l’escalier, elle déverse un drap blanc, des chaussures de disparus et un fatras d’os en pagaille. Une exploration joyeuse du théâtre du monde – l’existence et ses infinis possibles.
Véronique Hotte