La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Maison de Bernarda Alba

La Maison de Bernarda Alba - Critique sortie Théâtre
Bernarda Alba

Publié le 10 janvier 2008

Andrea Novicov signe une mise en scène originale de la pièce de Garcia Lorca. Un petit bijou à ne pas manquer.

Voilà une bien belle surprise que ce spectacle que nous offre Andrea Novicov ! Car s’attaquer à La Maison de Bernarda Alba de Garcia Lorca, œuvre fort à la mode à la grande époque du féminisme militant, peut receler bien des pièges. Dans cet ultime drame qu’il écrivit dans les prisons franquistes en 1936, quelques mois avant d’être fusillé par la Phalange, le poète dénonce en effet avec force les funestes carcans de la société rurale espagnole où « naître femme est la pire des punitions ». Objets convoités à mesure de leur dot, rangés aussitôt après la noce dans la boîte à couture, les jeunes filles n’ont plus qu’à s’épanouir dans les langes et à crocheter leur liberté dans les trous de leurs dentelles pour le restant de leurs jours, sous le regard castrateur du qu’en-dira-t-on. A moins de préférer s’étioler à petit feu dans le célibat. Tel s’annonce le destin qui attend les cinq filles de Bernarda Alba, marâtre desséchée qui décide, à la mort de son mari, de les cloîtrer pour un deuil de huit ans. Seule l’aînée, déjà flétrie par la quarantaine approchante mais richement dotée, pourra échapper à ce sort : Pepe le Romano, le plus bel homme du village, a demandé sa main.
 
Marionnettes humaines
 
Tandis que la future mariée brode déjà son avenir de jolis fils dorés, les sœurs claquemurées broient leurs ressentiments amers en fantasmant. Condamnées à épier le soleil de la vie par l’embrasure des jalousies, elles attendent le chant des moissonneurs comme des abeilles guettent le miel. Sauf la plus jeune, Adela, qui refuse sa camisole et s’évade la nuit dans les bras scandaleux de Pepe. Dans ce bourg d’Andalousie écrasé par la moiteur de l’été, le désir suinte sous les jupes, infiltre son venin dans les plis du cerveau, affole les monstres de l’imagination. La tragédie se trame à l’ombre des murs épais de ce gynécée confiné. A rebours de tout réalisme, Andrea Novicov, et c’est là l’ingénieuse idée, transforme les personnages en petites marionnettes humaines (mais Garcia Lorca n’avait-il pas écrit ses premiers textes pour des marionnettes ?). Poupées grimaçantes, pauvres jouets des conventions sociales encartés telles des Menines dans leurs costumes d’apparat, elles tournaillent dans leur castelet façonné comme un confessionnal. Leurs gestes, empêchés par leurs corps étriqués, leur jeu, légèrement forcé, expriment (avec quelle maîtrise !) tout le tragique de cette comédie grotesque et terrible. La dramaturgie, parfaitement orchestrée, ourdit une atmosphère fébrile, vénéneuse, empuantie par les remugles de la convoitise et le poison des mots. Ces bourgeons dont la chair se fane avant même que d’éclore sont suturés par la loi patriarcale et l’obscurantisme. Et la condition des femmes reste encore un combat à mener dans bien des contrées.
 
Gwénola David


La Maison de Bernarda Alba, de Federico Garcia Lorca, mise en scène de Andrea Novicov, du 7 janvier au 3 février 2008 dans la salle de répétition du mercredi au samedi à 20h30 mardi à 19h30 – dimanche à 16h , relâche le lundi au Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National de Saint-Denis 59, boulevard Jules Guesde. 93207 Saint-Denis cedexTél : 01 48 13 70 00, E-mail : reservation@theatregerardphilipe.com
Durée : 1h25. Une nouvelle traduction du texte signée par Fabrice Melquiot est publiée à l’Arche.

A propos de l'événement


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