La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Honte, un spectacle fort sur la domination masculine et les abus sexuels

La Honte, un spectacle fort sur la domination masculine et les abus sexuels - Critique sortie Théâtre Paris
John Arnold et Noémie Pasteger dans La Honte. © Francois Louchet

Reprise/Théâtre Dunois / texte de François Hien / mise en scène Jean-Christophe Blondel

Publié le 25 octobre 2022 - N° 304

Jean-Christophe Blondel réunit un remarquable quatuor de comédiens, qu’accompagne Rita Pradinas à la guitare et au chant, pour une analyse approfondie et nuancée des débats actuels sur la domination masculine et les abus sexuels.

C’est peu dire que le sujet est scabreux et que l’exercice est risqué ! Aborder aujourd’hui la question de la qualification de l’acte sexuel en évitant les pièges de l’euphémisme autant que ceux de l’hystérie, en se gardant de la misogynie graveleuse ou la bacchanale castratrice paraît quasi impossible. Les filles sont des putes et les hommes sont des salauds : rideau ! Voilà justement le genre d’outrance qu’évite le texte de François Hien, en appelant un chat un chat et un chien un chien, parvenant à expliciter les conditions des controverses et des combats actuels avec une franchise et une lucidité bienvenues. Louis Worms est professeur à l’université. Géraldine Ruben est sa thésarde. Un soir, parce que cela l’arrange, qu’il n’a pas envie de sortir en ville et qu’il part en colloque le lendemain, il reçoit la jeune femme chez lui pour répondre à ses questions et l’aider à peaufiner son travail. Porto, musique, danse, main sur le ventre, noir… Quelques semaines plus tard, l’étudiante porte plainte auprès de l’université pour agression sexuelle. Après la scène du drame, remarquablement interprétée par John Arnold et Noémie Pasteger, qui réussissent brillamment à camper la misère existentielle de ces amants impossibles qui ne savent pas ce qu’ils cherchent, sinon à rassurer leur narcissisme en berne, vient le déroulement de la commission disciplinaire, qui doit trancher sur la nature de l’acte et le possible renvoi du professeur Worms.

Un théâtre rendu au forum

Entrent alors en scène Yannik Landrein et Pauline Sales, d’une sidérante vérité dans leurs rôles respectifs : le premier en défenseur de la présomption de consentement, l’autre en avocate de la cause des femmes. Rien n’est tabou, rien n’est caché, rien n’est édulcoré. On se croirait revenu aux grandes heures du théâtre de l’opprimé, quand la scène savait imaginer des solutions collectives aux problèmes de société par la discussion. Le public est embarqué dans l’audience publique, et il y a fort à parier que les débats continuent entre spectateurs au retour du spectacle. Car cette proposition donne à penser autant qu’à voir et y parvient sans dogmatisme, même si le ton est vif et les propos parfois verts et brutaux. Le théâtre ajoute ce qui manque souvent aux débats stériles sur ces questions : de la chair, de la psychologie, la particularité de la mise en situation et les rets inextricables des relations humaines. Une femme n’est pas seulement un vagin, un homme n’est pas seulement un phallus et une relation sexuelle n’est pas seulement la rencontre mécanique entre ces deux organes. Pour que la honte change de camp, il faut que les dominants comprennent que la domination qu’ils imposent est aussi une domination qu’ils subissent. À cet égard, l’interprétation de John Arnold, en séducteur sur le retour qui n’a pas mieux réussi sa carrière amoureuse que sa carrière universitaire et rêve d’une dernière saillie crépusculaire, est brillante. Si l’on ne veut plus de pygmalion lubrique parmi les directeurs de thèse, si, de même, on ne supporte plus les patrons confondant secrétaire et maîtresse ou les supérieurs hiérarchiques considérant que les stagiaires ont à donner de la fesse autant que du cerveau, c’est à toutes les structures de pouvoir qu’il faut s’attaquer. Le spectacle habilement mis en scène par Jean-Christophe Blondel le suggère avec intelligence. « Entre égaux, l’œuvre est plus difficile, mais elle est plus haute : il faut chercher âprement la vérité, trouver le devoir personnel, apprendre à se connaître soi-même, faire continuellement sa propre éducation, se conduire en respectant les droits et les intérêts des camarades. Alors seulement on devient un être réellement moral, on naît au sentiment de sa responsabilité. », disait Elisée Reclus.

Catherine Robert

A propos de l'événement

La Honte
du mercredi 16 novembre 2022 au samedi 19 novembre 2022


Le 16 novembre à 19h, les 18 et 19 à 20h. Tél : 01 45 84 72 00. Spectacle vu au Théâtre de Belleville. Durée : 1h50. A partir de 15 ans.

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