Galin Stoev crée IvanOff, de Fredrik Brattberg, au ThéâtredelaCité à Toulouse. Une fantaisie pleine d’étrangeté qui s’adosse à Ivanov d’Anton Tchekhov pour parler de l’évidement de nos existences contemporaines.
Tout prend corps au sein d’un espace à la blancheur clinique. Un décor vide, nu, immaculé signé Alban Ho Van qui laisse pourtant apparaître deux trouées réalistes dans ce dépouillement radicalement contemporain. Deux ouvertures de la taille d’une porte révélant chacune quelques angles de meubles, quelques objets, quelques pans de murs d’un intérieur de maison qu’on imagine sorti d’une autre époque. La fin du XIXème siècle et le monde d’Anton Tchekhov font par ce biais irruption dans notre début de XXIème siècle soumis au Covid-19 et dans l’univers de Fredrik Brattberg, dramaturge norvégien né en 1978 à qui le metteur en scène Galin Stoev a passé commande d’une version actualisée d’Ivanov. Le texte qu’il a écrit reprend l’ossature, l’avancée et les principaux motifs de la pièce de l’écrivain russe sans en reproduire la chair dramaturgique. Car de l’histoire d’Ivanov, propriétaire terrien qui voit son quotidien s’enliser dans les affaissements délétères de la mélancolie, IvanOff ne nous livre que des fragments, que des cascades d’échos, de rumeurs, de réverbérations, que des éclats choisis qui se répètent et s’enchaînent pour composer boucles, spirales, lignes de fuite, ellipses, mises en abyme.
Un Ivanov au temps du Covid
Il y a quelque chose de captivant dans cette manière de vouloir augmenter la pièce de Tchekhov en l’évidant de sa substance, d’en faire naître une sorte d’excroissance capricieuse et déséquilibrée, de prendre appui sur ce que nous pouvons savoir de cette comédie paradoxale pour la réinventer ailleurs, autrement, en la confrontant au délitement existentiel de notre temps. Rien, ici, ne peut advenir sans les images de théâtre qui peuplent notre mémoire. C’est là la limite de cet exercice de style, aussi brillant soit-il. Celles ou ceux qui n’ont pas connaissance des destins chaotiques d’Ivanov et de son entourage risquent ainsi de rester à l’extérieur du spectacle conçu par Galin Stoev. Les autres goûteront probablement le charme de cette création vive, consistante, tour à tour intrigante et drôle, dont la profondeur et l’intelligence organiques évitent l’écueil d’un formalisme sec. Interprété par une belle troupe de comédiennes et comédiens (Yoann Blanc, Idir Chender, Sébastien Eveno, Nicolas Gonzales, Julie Julien et l’étonnante Millaray Lobos García, qui fait preuve d’une présence corporelle insolite), cet IvanOff apparaît comme la suite des différentes représentations d’Ivanov auxquelles il a pu nous être donné d’assister, comme le second volet d’un diptyque imaginaire qui accouche d’un monde en butte à toutes sortes de tensions, de ruptures, de submersions.
Manuel Piolat Soleymat
