Là, conception et jeu Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias
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Alain Françon met en scène Catherine Hiegel, Noémie Lvovsky et André Marcon dans Avant la retraite de Thomas Bernhard. Une « Comédie de l’âme allemande » qui ouvre sur les abîmes de l’humain.
En 2010, vous avez dirigé Serge Merlin dans une lecture d’Extinction de Thomas Bernhard*. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience ?
Alain Françon : Un merveilleux souvenir. Serge Merlin était l’un des acteurs français les plus puissants dans la prosodie. Ce travail avec lui a bien sûr été passionnant. Et, sans vouloir être prétentieux, il m’a permis de comprendre à peu près l’écriture de Thomas Bernhard. Surtout celle des romans. Cette expérience m’a amené à me familiariser avec les longues digressions de cet auteur, avec l’accumulation incroyable des subordonnées, avec la dimension rythmique de ses textes qui sont, en fait, comme des partitions. C’est d’ailleurs à ce moment-là que je me suis vraiment mis à lire son œuvre.
Comment est né ce projet de mise en scène d’Avant la retraite ?
A.F.: Il est né suite à une proposition de Jean Robert-Charrier, le directeur du Théâtre de la Porte Saint-Martin. Avant cela, lorsque je dirigeais le Théâtre national de la Colline, j’avais plusieurs fois pensé à mettre en scène un texte de Thomas Bernhard. Mais j’étais sans doute, à l’époque, trop bondien et trop vinavérien pour ça !
Qu’est-ce qui vous semble le plus fort dans cet univers théâtral ?
A.F.: Avant la retraite est une œuvre au sein de laquelle se croisent des histoires intimes et l’histoire du nazisme. Evidemment, on peut toujours convoquer la phrase que tout le monde dit : « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde » (ndlr, extraite de La Résistible Ascension d’Arturo Ui, de Bertolt Brecht), mais une fois que l’on a dit ça, il me semble que l’on n’a pas dit grand-chose… En travaillant sur cette pièce, je me suis rendu compte du côté très brutal du théâtre de Thomas Bernhard. Les personnages d’Avant la retraite sont monstrueux : ils fêtent l’anniversaire d’Himmler, ils ont des relations incestueuses… Je me suis longtemps demandé ce qu’il y avait de plus intéressant chez eux. Et j’ai un jour réalisé qu’à travers cette histoire et ces personnages, chacun d’entre nous pouvait aller explorer son propre abîme, pouvait visiter le continent qui s’ouvre au fond de soi pour voir ce qu’il peut avoir de monstrueux… Partant de là, j’ai essayé de donner quelques contradictions à ces personnages.
Etait-ce, pour vous, une façon de les rendre plus humains ?
A.F.: Non, plutôt une façon d’essayer de comprendre comment on pouvait en arriver là. Humains, ils le sont de fait. Mais les phrases de Thomas Bernhard sont tellement lapidaires qu’elles forment comme des blocs de sens qui donnent l’impression que ces personnages ne peuvent pas dire autre chose que ce qu’ils disent, que ces personnages sont entièrement contenus par leurs propos. Sans oublier qu’il y a deux pôles qui se font face dans Avant la retraite. D’un côté, le pôle de Rudolph, un ancien officier nazi, et de sa sœur Vera. De l’autre côté, le pôle d’une autre sœur, Clara, qui vit avec les journaux, avec la littérature…
Pour jouer Avant la retraite, vous avez choisi deux grands comédiens de théâtre, Catherine Hiegel et André Marcon, ainsi que Noémie Lvovsky, qui n’est jamais montée sur scène. Pourquoi ce choix ?
A.F.: Ce qui m’a beaucoup intéressé dans le fait de proposer le rôle de Clara à Noémie Lvovsky, c’est justement le fait qu’elle ne soit jamais montée sur scène, le fait qu’elle se situe très en dehors des codes de jeu du théâtre. Sa présence fait ainsi apparaître un écart. Cet écart est, je crois, la meilleure définition que l’on puisse donner du rapport à l’autre qui se dessine dans Avant la retraite. Comme je le fais depuis longtemps, je me suis attaché à travailler en grande proximité avec le texte, que je considère comme une partition. Sauf que la partition que propose Thomas Bernhard, qui ne comporte aucune ponctuation, est extrêmement difficile à appréhender. Il s’en dégage une forme de trouble. La seule chose sur laquelle on peut s’appuyer, ce sont les majuscules, qui déterminent des sortes d’unités de sens, ou plutôt de souffle. L’écriture de Thomas Bernhard est une écriture qui rebondit sans arrêt. Il y a du sens qui arrive, qui tout à coup s’esquive, puis qui revient, qui s’installe pour encore disparaître.
* En collaboration avec Blandine Masson.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 20h30, le dimanche à 16h. Tél. : 01 42 08 00 32. www.portestmartin.com
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