L’odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux
Dans la veine poétique qui fait sa signature, [...]
Claire Nebout interprète la partition polyphonique écrite pour elle par Mohamed Rouabhi. Une courageuse tentative d’incarnation, mais un texte trivial, qui peine à passer la rampe de l’émotion.
Claire, la cinquantaine fringante, revient sur les lieux d’une enfance dont elle n’est, d’évidence, pas guérie. Depuis toujours, avoue-t-elle, elle se met en colère et crie pour un rien. C’est sa mère qui essuie, au téléphone, son agacement inaugural. Elle a convoqué sa fille dans la maison natale, pour signer des papiers (règlement d’héritage ou liquidation de propriété, sans doute), dont on devine qu’ils ne suffiront pas à apurer les blessures d’un passé qui ne passe pas. Claire ouvre une valise où sa mère a remisé quelques affaires oubliées, et les fantômes reprennent vie. Le père victime d’un accident du travail et mourant, la mère dépassée et maladroite, la boulangère chez qui la jeune fille travaille l’été, Tobias, le premier amour (le deuxième, à vrai dire : le premier se prénommait Claude, on l’appelait Cloclo et toutes les filles en étaient folles !), les premières règles : tout revient, et Claire évoque, les unes après les autres, les figures qui ont marqué son enfance bretonne à Portsall. Ce défilé a pour cadre le naufrage de l’Amoco Cadiz, le 16 mars 1978. Le pétrolier éventré a souillé la mer et la terre. Les phoques et les oiseaux échoués agonisent. La nuit, les chiens et les chats se prennent les pattes dans le mazout et hurlent à la mort, pendant que, le jour, les camions qui évacuent la pollution vont et viennent bruyamment.
Une plume trempée dans le goudron
La comédienne campe les différents personnages de cette adolescence triste et morne. Elle arpente la scène, se cabre et se love, se dresse et ploie, danse et s’assoie pour dire la discussion, au café, entre partisans du développement des forces productives et militants antinucléaires (Plogoff n’est pas loin). Ce moment-là apparaît comme la seule scène authentiquement réussie de ce long monologue. La comédienne, gouailleuse et drôle, interprète avec esprit le débat stérile et caricatural entre progressistes niais et écologistes naïfs, et réussit mieux à convaincre que lors des interminables plaintes pathétiques sur les oiseaux et le père expirants. Le texte de Mohamed Rouabhi fait alterner les grossièretés lourdement répétitives, le lyrisme fade et les effets globalement ratés d’une poésie du quotidien. Claire Nebout fait tout ce qu’elle peut, belle quand la liberté est rendue à son corps de danseuse, mais prosaïque jusqu’à l’ennui dans le récit de cette adolescence mazoutée. La performance d’actrice mérite d’être saluée, « mais malgré son sourire et son air engageant », la Belle de Cadiz ne parvient pas à soulever l’enthousiasme.
Catherine Robert
Dans la veine poétique qui fait sa signature, [...]