La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Kalashnikov

Kalashnikov - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Rond-Point

Théâtre du Rond-Point / Kalashnikov / de Stéphane Guérin / mes Pierre Notte
Entretien
Pierre Notte / La plaie et le couteau

Publié le 2 juin 2013 - N° 210

La Mère, le Père, le Trans et l’Enfant : quatre personnages modernes pour revisiter les mythes antiques. Stéphane Guérin dévoile les plaies de la modernité et Pierre Notte y plonge son scalpel…

D’Œdipe au monde actuel en passant par les séries télévisées… Quel rapport ?

Pierre Notte : Nous essayons justement de mettre en place le lien entre cette proposition épique de revisiter le mythe et un théâtre du quotidien, un tableau plus ordinaire. Au départ, une histoire simple : un enfant (Cyrille Thouvenin) aspire à quitter sa famille (Raphaëline Goupilleau et Yann de Monterno), plongée dans un état végétatif. Tout commence par cette lutte entre l’enfance, qui tend à sortir de la grisaille familiale, et le couple des parents, pétrifié dans une immobilité mortifère. En même temps, chaque membre de cette famille tente d’échapper à ce petit cercle infernal ; chacun cherche à s’accomplir à travers des cauchemars de grandeurs assassines. Le tout est conduit, organisé et commenté par le Trans (Annick Le Goff), à la fois coryphée, maître loyal et harangueur de cabaret. Il prévient la catastrophe, donc il la provoque !

Comment ces cauchemars s’emboîtent-t-ils ?

P. N. : Il y a d’abord la réalité de l’enfant, enfermé dans la cage familiale imposée, ancestrale. Puis celle de ce couple hétéro qui fait des enfants, dont on ne cesse aujourd’hui de vanter aveuglément les mérites et l’unique légitimité. Elle est pourtant, et tout le monde le sait car personne n’y échappe, un espace de toutes sortes de guerres, d’affrontements et de douleurs. Après la vision du monde de l’enfant, vient le cauchemar du père, qui se voit en Laïos, puis le cauchemar de la mère, en Jocaste, par lequel on comprend qu’elle organise autour d’elle un pouvoir qui va jusqu’à l’inceste. Puis la mère se pend ; puis le fils se crève les yeux ! Et, dans la quatrième et dernière partie, pour fuir la réalité de ce monde et mettre fin à la fatalité familiale, l’enfant organise le carnage final…

D’où le titre, Kalashnikov ?

P. N. : En effet ! Il faut bien avouer que nous avons été très troublés à l’annonce du récent carnage d’Istres où un enfant s’est ainsi livré à une fusillade aveugle. Evidemment, l’enfant de la pièce n’a rien à voir avec celui du ce fait divers, mais il y a là une résonnance terrible : pourquoi et comment un enfant peut-il décider de foutre le feu ? Dans Kalashnikov, c’est  parce qu’il trouve là le seul moyen de sortir de ce qui l’emprisonne, c’est l’avantage du mythe, il y a du sens et de la narration. Dans le fait divers de la réalité, cela reste un mystère total.

Est-ce en cela que cette pièce modernise la tragédie ?

P. N. : Stéphane raconte la violence d’un monde où l’homme est exploité par l’ultralibéralisme, et il écrit une charge assassine et brutale, à la hauteur de toutes les absurdités et violences du monde contemporain. Stéphane est un dandy torturé et mélancolique, radicalement étranger à ce monde contemporain, qu’il attaque et dénonce dans la pièce. Il y a, à la fois, dans cette pièce, une influence de Sarah Kane dans l’exploration et la réappropriation des mythes, et quelque chose d’assez proche de Rodrigo Garcia quant à la dénonciation du monde. Tout cela augmentée d’une nostalgie enfantine, qui lui fait convoquer les mythes des séries télé des années 60 à 80. L’ensemble relève d’un facétieux tragique interrogeant le désastre.

Comment s’organisent les différentes strates référentielles de la pièce ?

P. N. : La mise en scène travaille à distinguer tous les niveaux de lecture. Des couloirs de lumière éclairent les cauchemars ; un autre espace est consacré à la famille. A chaque niveau correspond un rythme de jeu, un débit de parole : nous essayons de jouer avec tous les codes qui nous sont accessibles, ce qui permet de distinguer entre les individus, les personnages, les créatures, les monstres. Cette dissociation systématique permet de respirer et de voyager entre la drôlerie corrosive, les passages plus lyriques, les dialogues resserrés, presque cisaillés : si on n’adopte pas un tel tempo et un tel parti, on prend le risque de sombrer dans une boue complaisante dont nous ne voulons pas, ni Stéphane, ni moi. 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Kalashnikov
du jeudi 30 mai 2013 au dimanche 30 juin 2013
Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris

Du 30 mai au 30 juin 2013, à 20h30 ; le dimanche à 15h30 ; relâche le lundi et le 2 juin. Tél :  01 44 95 98 21.
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