Sleeping point
En incarnant un assistant professionnel ou [...]
Avignon / 2017 - Entretien / Serge Aimé Coulibaly
Le chorégraphe Burkinabé crée Kalakuta Republik, une pièce follement engagée et d’une énergie à tout casser qui fait appel à Fela.
Pourquoi avez-vous choisi de créer un spectacle autour de Fela ?
Serge Aimé Coulibaly : J’avais 14 ans quand Fela est venu au Burkina rencontrer le président Sankara. Du coup, il passait tous les jours à la télé. C’est alors que je l’ai découvert. Mais je l’ai vraiment rencontré quand j’ai commencé à créer et revu ses concerts et un documentaire sur lui intitulé La musique est une arme, grâce à You Tube. Pour lui, son art était une question de vie ou de mort. Dans un pays où il y a tout à faire, il faut des artistes de cette trempe. Souvent en avance, ou décalés par rapport à leur époque et leur société, ils apportent un regard plus affûté. Ils font rêver, vibrer mais aussi avancer. En fait, c’est la cinquième fois que j’utilise sa musique dans mes pièces, sans pour autant parler de lui directement. J’avais tous les éléments pour faire un biopic, mais ce qui m’intéressait avant tout, c’était son univers.
Et le sujet de Kalakuta Republik n’est pas seulement l’univers ou la musique de Fela…
S. A. C. : La première partie aborde la musique de Fela. Je voulais aussi et surtout parler de ce qui se passe actuellement : les guerres, la barbarie, les déplacements de population, l’immigration massive qui leur sont liés. Le sujet principal concerne l’accélération propre à notre époque qui escamote une part de la réalité. Les infos coulent rapidement à flux continu, tout passe à la moulinette à toute vitesse : les enfants syriens qui meurent, les populations et les villes détruites, les attentats… Et rien ne change. Donc en 45 minutes, c’était un challenge de faire, sur cette musique, une phrase de danse continue pour raconter cette histoire rapide du monde, cette urgence où rien n’est saisissable. Dans la deuxième partie, je m’attache plutôt à l’artiste dans sa recherche de la folie, de l’inédit, de la saleté aussi : on fouille les poubelles pour trouver la rareté.
« Vu l’état du monde, on ne peut se tenir en dehors de la réalité. »
Quelle est la responsabilité de l’artiste, selon vous ?
S. A. C. : L’artiste n’est pas obligatoirement engagé, et même beaucoup d’entre eux ne se sentent pas vraiment concernés par la souffrance des autres, voire s’en méfient et ont le désir de garder la richesse pour eux. Pour moi, l’autre n’est pas forcément mon ennemi, mais mon frère. Vu l’état du monde, on ne peut se tenir en dehors de la réalité. Au Burkina, il faut tout construire, tout faire, participer à l’éveil de la population, et les artistes doivent avoir cet engagement-là. J’ai toujours eu cette préoccupation, peut-être est-ce utopique ou bête… Mais c’est pour répondre à cette exigence que j’ai mis en place le Laboratoire international des arts de la scène à Bobo Dioulasso. Ma responsabilité, c’est de véhiculer une façon d’être autonome et de proposer au monde les sujets qui nous touchent.
Propos recueillis par Agnès Izrine
à 22h, relâche le 23. Tél. : 04 90 14 14. Durée 1h45.
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