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Théâtre - Entretien

Julie Delille s’attaque au « Conte d’hiver » de Shakespeare

Julie Delille s’attaque au « Conte d’hiver » de Shakespeare - Critique sortie Théâtre Bussang Théâtre du Peuple - Maurice Pottecher
© Pierrick Delobelle Julie Delille

Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher / Texte de William Shakespeare / Mise en scène de Julie Delille

Publié le 27 mai 2024 - N° 322

Pour sa première saison d’été à la tête du Théâtre du Peuple à Bussang, Julie Delille met en scène Le Conte d’hiver de Shakespeare, mêlant comme le veut la tradition du lieu amateurs et professionnels. Traduite par Bernard-Marie Koltès, cette folle tragi-comédie lui offre un terrain de jeu idéal pour travailler les questions du sensible et de la relation.

Avec votre compagnie du Théâtre des trois Parques, vous n’aviez jusque-là jamais mis en scène de pièces de répertoire, adaptant plutôt des romans et autres textes non-théâtraux. Pourquoi le faire à votre arrivée à Bussang ?

Julie Delille : Je tourne autour du Conte d’hiver depuis une quinzaine d’années, et l’envie d’y travailler m’est revenue très fort lorsque je suis arrivée entre les murs du Théâtre du Peuple. Mon envie de me faire la passeuse de cette pièce tient beaucoup au fait que sa traduction en français soit de Bernard-Marie Koltès, qui est un auteur de la région. Je suis me suis intéressée aux notes qu’a fait ce dernier sur la pièce, et me suis amusée à démêler ce qui vient de lui et de Shakespeare dans sa traduction. Ce qui ajoute un trouble à un texte déjà fou, à une histoire incroyable qui pour moi fait écho à mon arrivée à Bussang, que je vis comme une chose aussi merveilleuse qu’inattendue.

Dès son titre, la pièce fait aussi écho à la « saisonnalité », l’un des trois termes – avec « sensibilité » et « organicité » – que vous placez au cœur de votre projet.

J.D. : En effet, c’est une petite pirouette qu’il me plaît de faire ! Même si en vérité au temps de Shakespeare, un « conte d’hiver » ne fait pas référence à la saison mais est une expression désignant une histoire difficile à croire. Pour moi, les deux sens valent. Si l’été est la saison où le théâtre se déploie de manière très visible au Théâtre du Peuple, j’ai découvert que l’hiver y est aussi une saison très pleine. Dans le secret, s’y travaille par l’art théâtral la question qui n’a jamais cessé d’être au cœur du lieu depuis sa création par Maurice Pottecher en 1895 : celle de la relation au vivant, qui est aussi centrale pour les Trois Parques. Le Conte d’hiver, c’est une façon de dire que je me laisse envahir par le lieu.

« Tous ensemble, nous allons cheminer vers les dessous de la pièce de Shakespeare, vers ce qu’il y a en elle de troublant. »

Les usages veulent au Théâtre du Peuple que le metteur en scène du spectacle de 15 heures – l’heure du Conte d’hiver – mêle dans sa distribution comédiens amateurs et professionnels. Comment appréhendez-vous cela ?

J.D. : Cela m’intéresse beaucoup. Nous aurons dix comédiens amateurs et trois professionnels, pour jouer un nombre beaucoup plus élevé de personnages, ce qui nous impose de regrouper plusieurs rôles. Pour cela, j’ai travaillé avec les personnalités de tous ces acteurs avec qui il m’est donné de travailler pendant trois mois, sans faire de concessions sur mon exigence artistique. Les amateurs apportent beaucoup de vivant dans le processus, et nous font nous questionner autrement. Tous ensemble, nous allons cheminer vers les dessous de la pièce de Shakespeare, vers ce qu’il y a en elle de troublant. Depuis Léonte, roi de Sicile persuadé que sa femme Hermione le trompe avec son ami Polixène, roi de Bohème, jusqu’au dénouement heureux de la pièce, tous les protagonistes vacillent dans leurs certitudes et font sans cesse aller de la tragédie à la comédie, et inversement. Ce doute est un espace vibrant pour le théâtre.

En quoi le théâtre en bois, dont le fond de scène s’ouvre sur la forêt, est-il propice à la recherche de ce trouble ?

J.D. : Nous allons faire en sorte qu’il le soit, en travaillant vraiment à partir de ses spécificités. La scénographie contribuera au trouble, en utilisant des éléments du théâtre et en brouillant ainsi les frontières entre ce qui appartient au réel et ce qui lui est extérieur. Il était très important pour moi d’inviter pour cela des collaborateurs des Trois Parques, afin d’assurer une continuité, de créer un « attelage » entre mon travail de compagnie et celui que j’entame à Bussang. À l’image de notre Conte d’hiver, que je vois comme un espace de composition : j’y suis le liant entre des matières et des énergies très diverses, ce qui va bien à cette pièce de fous.

Propos recueillis par Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Conte d’hiver
du samedi 20 juillet 2024 au samedi 31 août 2024
Théâtre du Peuple - Maurice Pottecher
40 rue du théâtre, 88540 Bussang

du jeudi au dimanche à 15h. Tél. : 03 29 61 50 48. www.theatredupeuple.com. Durée : 3h avec entracte.

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