La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Julie Brochen et Christian Schiaretti

Julie Brochen et Christian Schiaretti - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Franck Beloncle

Publié le 10 mai 2012 - N° 198

Bâtisseurs d’une cathédrale théâtrale

Dix pièces. Trente heures de spectacle. Julie Brochen et Christian Schiaretti se lancent dans une aventure hors normes : monter l’intégralité du Graal Théâtre, de Florence Delay et Jacques Roubaud. Après Joseph d’Arimathie, créé en juin 2011 au TNP, Merlin l’enchanteur continue cette quête audacieuse, en mai au TNS, en juin au TNP.

 « Comme tous les défis, on en doute en le faisant, et c’est là l’essence du projet. » (J.B.)

« Nous effaçons nos privilèges au bénéfice de l’œuvre. » (C. S.)

Pour quelles raisons mettre en scène à deux ?

Christian Schiaretti : La première est productive, eu égard aux forces qu’il faut pour un ensemble qui ferait, à terme, deux jours de représentation. L’association des coproductions et des deux théâtres offre le monde nécessaire. Ensuite parce que l’œuvre elle-même correspond à une sorte de quête écrite à deux voix. Le projet initial était même d’associer d’autres auteurs. Par dévotion au projet de Florence Delay et Jacques Roubaud, nous effaçons donc nos privilèges au bénéfice de l’œuvre, la mettant en scène à quatre yeux après qu’elle a été écrite à quatre mains. Peut-être même associerons-nous d’autres metteurs en scène en une table ronde abolissant les privilèges. On est à un endroit où on bouscule la signature authentifiante. C’est le texte qui prédomine, et il y a fondamentalement un mimétisme entre l’œuvre et la démarche de mise en scène. Troisième chose : l’œuvre et la démarche correspondent à des caractéristiques des deux maisons. Pour le TNP, qui œuvre par définition à un théâtre populaire ; pour le TNS, qui a toujours été aux avant-postes des associations parfois biscornues. Enfin, joindre deux équipes permanentes permet d’assurer la fiabilité du collectif sur plusieurs années. Contre la version potagère de l’institution nationale, où chacun cultive ses poireaux dans son jardin, il n’est pas mal de revenir à des choses plus aventureuses !

Julie Brochen : Co-mettre en scène, c’est se mettre au service de l’autre sans s’oublier soi-même. Nous sommes tous les deux totalement différents dans nos esthétiques, nos façons d’être et de mettre en scène. Christian a une force d’analyse dramaturgique et de clarification incroyable, avec laquelle il est aussi exaltant de dialoguer qu’avec Florence Delay et Jacques Roubaud. Le plus intéressant est peut-être de se demander si on fait cela pour autre chose que rendre ce projet possible. La peur ensemble est saine à partager, et ça ressource d’aller travailler dans un autre lieu et avec d’autres, reposant toujours la question de la troupe. Qu’on y arrive ou pas, on l’aura tenté : comme tous les défis, on en doute en le faisant, et c’est là l’essence du projet.

Ce défi est à la fois celui de ce projet, mais aussi celui de son écriture et celui de la quête du Graal.

C. S. : Ne pas savoir si la quête aboutira fait le sens même de la quête ! Les chevaliers eux-mêmes ne savaient pas vraiment ce qu’ils cherchaient. L’idéal serait d’arriver à une représentation dantesque proposée à la scène du début à la fin. Un épisode réalisé réinterroge le précédent et les choses n’apparaîtront clairement qu’à la fin, exactement comme dans une cathédrale où le travail de chacun finit par créer une architecture cohérente.

J. B. : La règle du jeu, c’est qu’au final, personne ne sache qui a fait quoi…

C. S. : Quant au texte, achevé après trente ans d’élaboration, il est d’une envergure et d’une importance qu’ont peu d’œuvres théâtrales.

J. B. : Graal Théâtre est un vrai grand texte, pas seulement un jeu de mots oulipien. Il sédimente tous les Graals européens et renouvelle cette utopie, ce graal qui nous meut quand on réunit des gens de théâtre. La mise en scène, l’écriture et l’histoire racontée se retrouvent : à chaque fois, c’est un acte de foi, un pacte du récit, un engagement total.

Dans quelle mesure votre projet rejoint-il le récit qu’il porte ?

J. B. : Joseph d’Arimathie arrive sur les côtes celtes avec Bron, son beau-frère, et Enygeus, sa sœur. Enygeus se retrouve dans les bras de Joseph et enfante les jumeaux Gala et Galaain. Finalement, c’est toujours la même histoire qui est racontée : celle du peuplement du monde. Comment jouer sur une scène de théâtre sans se poser cette question ? Ce qui est magnifique dans cette histoire, c’est que les seuls enfants qui ont un nom, sont les enfants adultérins. Notre faille et notre origine double nous font être humains. On est humain quand on est né d’un inceste, quand on est illégitime. Galaad, le seul digne du Graal, est un antihumain ; il pourrait être le robot du Roi et l’oiseau. Personne n’est pur, chaste et vierge, s’il est humain. L’humanité de Delay et Roubaud est une humanité vulnérable, et ce qui est beau aussi, c’est la tendresse avec laquelle ils la traitent. Nous autres continuons donc à œuvrer avec notre imperfection, et posons la question incestueuse de faire des choses ensemble.

 

Propos recueillis par Catherine Robert


Graal Théâtre – Merlin d’enchanteur, de Florence Delay et Jacques Roubaud ; mise en scène de Julie Brochen et Christian Schiaretti. Du 9 au 25 mai 2012. Du mardi au samedi à 20h ; dimanche à 16h. TNS, 1, avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg. Tél : 03 88 24 88 24. Du 1er au 17 juin. Mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20h ; dimanche à 16h. TNP, 8, place du Docteur Lazare Goujon,  69100 Villeurbanne. Tél : 04 78 03 30 00. L’intégralité du Graal Théâtre est publiée par les éditions Gallimard, 2005.

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