La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien EDOUARD FERLET

JOUEUR DE BACH

JOUEUR DE BACH - Critique sortie Classique / Opéra Paris Café de la Danse
© Grégoire Alexandre

CAFE DE LA DANSE / CREATION MIXTE

Publié le 1 octobre 2012 - N° 202

Compositeur, improvisateur, pianiste et même producteur, Edouard Ferlet compte parmi les musiciens français les plus inventifs et entreprenants de la scène du jazz français. Il surgit aujourd’hui à l’orée du monde classique avec un disque magistral intitulé « Think Bach » (chez Mélisse) offrant une relecture savante, sensible et spectaculaire de la musique du compositeur, traitée avec un brio fascinant. Irrésistible.

« J’ai voulu jouer avec Bach comme je joue un standard de jazz, avec la même liberté d’interprétation. »

Comment est née cette idée de jouer Bach?

Edouard Ferlet : Comment déconstruire la musique de Jean-Sébastien Bach lorsque celle-ci m’a structuré ? Comment de nos jours varier Bach sans faire de lui un cantor de variétés ? Comment m’autoriser avec sincérité et respect, à mêler mon langage de pianiste compositeur de jazz à celui du grand maitre ? Voici quelques interrogations qui m’ont amené à ce projet.  C’est en grattant dans les plis de la partition, dessus et dessous, tout en préservant la trace du maître, que je soustrais, augmente, fragmente, réduit, dérobe, greffe des lignes de chant et des timbres, un peu à la manière d’un graphiste qui par la technique du palimpseste recouvre ou allège un ancien parchemin. Une opération par laquelle je re-compose complètement le score original. Il s’agit ici de variations dans des variations. J’ai voulu jouer avec Bach comme je joue un standard de jazz, avec la même liberté d’interprétation, d’improvisation, de créativité et de candeur. C’est dans mon travail de re-composition que j’ai trouvé l’inspiration, transformant les pièces originales à l’aide de techniques musicales simples.

Par exemple ?

E. F. : Dans « A la suite de Jean », la partition est lue à travers un miroir, ce qui inverse toute la ligne mélodique, puis j’ai créé une suite harmonique qui n’existait pas dans cette pièce pour violoncelle. Dans « Analecta », une note rajoutée à chaque temps crée un nouveau balancement en 5 temps et garde la courbe mélodique intacte. L’art combinatoire de Bach et ses structures absolues analogues à des escaliers infinis m’ont incité à développer un travail rythmique approfondi, puis c’est dans l’improvisation que ce cadavre exquis polyphonique m’a dévoilé tous ses secrets. Les pièces sont reconstruites avec des fenêtres d’improvisation qui me permettent à tout moment de partir dans plusieurs directions librement. Les parties écrites sont soit des cibles soit des points de départ pour l’improvisation, et tout l’intérêt est de passer subtilement de l’un à l’autre.

Bach, c’est forcément une longue histoire quand on a, comme vous, une formation classique. Quelle était, avant ce projet, la nature spécifique de votre lien avec sa musique?

E. F. : Dans ce travail de transgression, j’imagine les effets que la musique de Bach a produits sur ma mémoire cellulaire. J’aime supposer qu’inconsciemment ces mélodies qui m’ont bercé me ramènent à des souvenirs de jeunesse et me mettent en situation de « toute première fois », pour m’inspirer une fraicheur de jeu. C’est cette émotion que je convoque dans l’improvisation. Peut-être que l’auditeur aussi vient chercher dans ce jeu de pistes ses souvenirs personnels. Je pense même qu’on peut parler de mémoire collective concernant la musique de Bach : dans sa transmission et son apprentissage, cette musique devient un lieu de rassemblement et de partage. J’ai été comme beaucoup marqué par Glen Gould qui a révolutionné l’interprétation de Bach, mais aussi Sviatoslav Richter, Emil Gilels. Ce qui me plaît dans leur interprétation c’est l’importance du rythme qui pour moi est un des fondements de la musique de Bach.

Dans un tel projet, où se situe le plus grand motif d’intérêt et de bonheur ? Où se situe le plus grand risque ou la plus grande difficulté? 

E. F. : En faisant confiance à mon instinct, je ne prends pas de risque, en restant sincère et authentique je ne pense pas me tromper. La difficulté réside plutôt dans l’équilibre entre l’abandon de soi et la rigueur artistique. Je suis constamment en train de balayer mes habitudes et mes attitudes de jeux pour expérimenter et surprendre. Dans mon travail ou mes concerts, je ne cherche pas de résultat, je ne me donne pas d’objectif particulier, mais je me mets dans une posture où tout peut arriver, et c’est dans les moments les plus relâchés et inattendus que la magie peut opérer. Dans ce programme, mon plus grand bonheur est d’arriver à jouer avec Bach plutôt de jouer du Bach.

Propos recueillis par Jean-Luc Caradec

A propos de l'événement

EDOUARD FERLET
du mercredi 24 octobre 2012 au mercredi 24 octobre 2012
Café de la Danse
5, passage Louis Philippe 75011 PARIS

Mercredi 24 octobre à 20 h. Tél. 01 47 00 57 59
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