La Petite d’Anna Nozière
Anna Nozière et ses fidèles continuent leur [...]
Une maison de famille dans le bocage normand, un week-end de début d’été, et neuf personnages d’aujourd’hui réunis au hasard. Joël Dragutin réfléchit en riant sur les conditions du vivre ensemble.
Qui sont ceux qui se retrouvent dans cette maison normande ?
Joël Dragutin : Des gens qui se connaissent mal. Celui qui les réunit est prothésiste dentaire. Il a hérité d’une vieille tante cette maison perdue au milieu du Perche. Il n’a pas besoin d’argent, mais à cause de son travail, qui l’occupe à plein temps, il a très peu d’amis et vit une histoire d’amour compliquée : sa nana le trompe sur Internet ! Il décide, via Facebook, d’organiser un week-end avec huit copains, pour trouver ensemble des idées pour transformer cette maison. Il se retrouve avec : un socialiste de soixante ans, propriétaire de la maison voisine ; une fille de trente-quatre ans, agent immobilier qui vit seule avec un ado ; une autostoppeuse trouvée sur la route, belle nana un peu mytho qui a trop regardé des téléfilms et qui se la joue ; un petit black, sorte de personnage virtuel, métaphore de Facebook et d’Internet, un troll pertinent et ironique qui connaît tout le monde et que personne ne connaît ; un prof de collège, avatar de Vincent Delerm qui écrit des chansons minimalistes ; une sorte de geek un peu enfantin, branché jeux vidéo, qui préfère le virtuel au réel ; et enfin, un couple très vieux jeu, catholique militants mariés, cousins éloignés que l’héritier a invités par politesse car ils connaissaient mieux la tante que lui.
Quels projets naissent de ce week-end ?
J. D. : La pièce est structurée autour de la chronologie du week-end, du vendredi soir au dimanche midi. Ils réfléchissent à un projet pour cette maison et chacun propose ce qui lui ressemble : un design center hyper branché, un festival de jeux vidéos à la campagne, une maison de famille à conserver comme telle, un café librairie avec des plats bio, un spa thalasso haut de gamme. Tout cela se télescope. Rien ne sort de la confrontation des propositions. La tension monte. Le dimanche matin constate l’échec. La pièce se termine sur la défaite du langage, qui signifie la difficulté à formuler un projet collectif aujourd’hui.
Qui sont ces personnages qui nous ressemblent tant ?
J. D. : Ils sont drôles et attachants et c’est vrai qu’ils nous ressemblent. J’aime beaucoup travailler sur la middle class, la plus porteuse de mythologies, je crois. Traversée par la crise, confrontée à la misère sociale, ou à la solitude sociale et relationnelle même quand elle n’a pas de problèmes d’argent, elle regroupe des gens extrêmement différents. Je voudrais faire passer l’idée selon laquelle, s’ils n’arrivent pas à fonder un projet commun, c’est parce qu’ils sont tellement libéraux dans leur tête, et que le capitalisme a tellement pénétré les inconscients, que le collectif demeure loin de leurs préoccupations. Le collectif leur manque, ils en souffrent, mais ils sont tellement conditionnés que le vivre ensemble et le faire ensemble relèvent pour eux de la métaphysique. Ils sont partagés : l’envie est là mais les mots ne sont pas là. Cette maison est une métaphore de l’état de la société d’aujourd’hui. Voyez Mélenchon, qui fait un meeting devant des milliers d’enthousiastes mais n’arrive pas à transformer ses spectateurs en militants. S’il faut participer, donner de son temps, même sans payer, tous ces individualistes ne sont pas programmés. Le libéralisme a réussi à les transformer en consommateurs, ils ne sont plus citoyens. Il y a un fond très tragique, et le propos n’est certes pas très optimiste. Mais quand même, je montre qu’il y a en eux un embryon d’envie : espérons qu’il grandisse !
Propos recueillis par Catherine Robert
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