La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien

Jiri Kylian

Jiri Kylian - Critique sortie Danse
Crédit : Anne Deniau Légende : Jiri Kylian

Publié le 10 juin 2010

Chercher la vérité de l’instant présent

Sublime créature venue d’un autre monde, la princesse de la lune subjugue les cœurs autant qu’elle attise les rivalités. Brodant sur les motifs d’un conte japonais, Jiri Kylian évoque avec Kaguyahime le conflit des émotions, entre désir de pureté et tentation du chaos.

Plus de vingt ans après sa création, comment voyez-vous ce ballet dans votre parcours ?
Jiri Kylian : Elle aborde un aspect que j’ai peu travaillé : la narration. Mes ballets sont en effet rarement narratifs. La danse ne me semble pas le langage le plus approprié pour raconter une histoire, parce que le sens reste plus ouvert qu’avec le verbe. Chorégraphier sur ce conte me posait un grand défi. Rétrospectivement, l’expérience m’a beaucoup apporté car j’ai dû inventer un langage particulier, différent.
 
Comment passer de la fable à la danse ?
J. K. : Le conte est émaillé d’une foule de détails et de péripéties, bien impossible à relater par la danse. Mais le cœur du sujet réside moins dans le récit que dans les thèmes qu’il évoque : la beauté qui suscite l’amour mais engendre aussi la jalousie, la guerre et la destruction… autant de sentiments qui jalonnent toute l’histoire de l’humanité et qui touchent chacun intimement. Je procède par abstraction, jusqu’à trouver une résonnance universelle et les nuances qui saisissent nos émotions contradictoires. La danse passe par le concret du corps, qui travaille, sue, souffre, tout en cherchant une dimension métaphysique.
 
« La danse passe par le concret du corps, qui travaille, sue, souffre, tout en cherchant une dimension métaphysique. »
 
Pourquoi avez-vous choisi ce conte folklorique japonais ?
J. K. : Au Japon, tous les enfants connaissent ce conte. J’ai depuis longtemps des liens très fort avec ce pays. J’ai d’ailleurs souvent collaboré avec des artistes japonais. C’est la musique de Maki Ishii, d’une puissance émotionnelle impressionnante, qui m’a décidé. Elle allie deux groupes de percussionnistes, un d’Orient et un d’Occident, ainsi que trois musiciens de l’Ensemble Gagaku qui appartiennent à la maison royale. Et sur la scène, un immense tambour symbolise la lune. La musique a toujours été essentielle dans ma démarche chorégraphique. En Tchécoslovaquie où j’ai été formé, tout danseur apprenait aussi à jouer d’un instrument et devait maîtriser la composition et l’harmonie. Je coopère étroitement avec les compositeurs, qui de plus en plus assistent aux répétitions pour écrire la partition.
 
La pensée japonaise a-t-elle influé sur la chorégraphie et votre approche de l’espace ?
J. K. : Je me retrouve dans cette philosophie qui exprime l’extrême complexité par une forme simple. Mon vocabulaire peut sembler compliqué. Pourtant, il ne va jamais contre le mouvement naturel du corps, ni ne le force. La chorégraphie s’élabore en fait par l’addition de gestes très simples.
 
Le ballet sera transmis par trois interprètes de votre compagnie. Pourquoi ?
J. K. : A 63 ans, je ne peux malheureusement que décrire et non plus montrer les mouvements. Il faut les sentir de l’intérieur. Elke Schepers, Patrick Delcroix et Ken Ossola ont cette connaissance intime. Plus que la virtuosité, ce qui importe est la vérité et l’intensité du mouvement. Les mots peuvent mentir, pas les gestes. Comme la calligraphie japonaise, le mouvement résulte d’une concentration intérieure et d’un état de présence au monde extrême. En un instant, le peintre exécute un dessin qui condense des heures de méditation. Il le fait à l’instant où il est convaincu de sa nécessité et ne peut le retoucher car il témoigne de ce moment unique de sa vie. Je cherche toujours cette vérité de l’instant…
 
Entretien réalisé et traduit par Gwénola David


Kaguyahime, chorégraphie de Jiri Kylian, musique de Maki Ishii. Du 11 juin au 15 juillet 2010 en alternance, soirée à 19h30, mâtinée à 14h30. Opéra national de Paris – Bastille, place de la Bastille, 750011 Paris. Rens. : 08 92 89 90 90 (0,337€ la minute) et www.operadeparis.fr.

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