Jérémy Jouve « Cavalcade »

Le Café de la Danse est archi-comble, on y entend murmurer des conversations de spectateurs anonymes autant que des considérations de mélomanes avertis, voire de musiciens aguerris. L’ambiance tranquille sera vite électrisée par Sophia Charaï, qui en première partie réussit à conquérir tout ce beau monde en une poignée de titres métissant Maghreb, rythmes latinos, chanson et jazz.

Seul au centre de la scène, Jérémy Jouve est assis sur un tabouret de piano, la guitare tenue haute et contre lui, comme enracinée dans son corps. Sa présence est au premier abord timide, voire effacée. Mais en quelques notes la guitare solo donne corps à tout le vide qui l’entoure, enflant l’espace d’une épaisseur étourdissante, animant les quelques objets, reflétant la lumière.

Un pur génie sans démonstration

Jouve a cette sérénité de jeu que seule une maîtrise parfaite permet, saluant poliment le public à la manière des musiciens classiques entre chaque pièce. Avec un répertoire entièrement composé par Duplessy où Jouve semble avoir joué le guide et la muse, celui-ci alterne nocturnes sensibles et envolées virtuoses avec de sublimes morceaux de bravoure qui arracheront des larmes de plaisir et d’enfer aux jeunes guitaristes qui s’y essaieront. On s’imagine dans les steppes d’Asie centrale, des continents imaginaires indo-européens, avec des touches méditerranéennes, slaves, classico-romantiques, manouches, sans jamais choisir de quel côté de la frontière nous devons nous situer.

Bientôt rejoint par Mathias Duplessy, le solo se mue naturellement en duo, un duo dont l’évidente complicité renforce la subtilité musicale. Puis les invités se succèdent, des musiciens amis, doués, souvent surprenants : le baryton basse Sévag Tachdjian chantant une ode à la terre atemporelle et décalée, le flûtiste David Aubaile qui aiguise quelques morceaux de nappes et de phrasés réjouissants, et le percussionniste franco-indien Prabhu Edouard, qu’on aura pu entendre aux côtés de Magic malik, Nguyen Lê ou Jordi Savall, qui, absorbé comme tous ses voisins de salle par le jeu de guitare, en aurait presque oublié de monter sur scène…

Vanessa Fara