La grammaire des mammifères
Suite de phrases sans personnages, La [...]
Jeanne Champagne adapte et met en scène Les Années, d’Annie Ernaux. Se concentrant sur la période 1940-1975, elle évoque le souvenir des combats passés et les offre à la jeunesse comme un tremplin vers l’avenir.
« Il faut faire l’Histoire et non pas la subir : voilà ce j’ai eu envie de dire. »
Comment avez-vous décidé d’adapter ce texte ?
Jeanne Champagne : Le travail avec Annie Ernaux a commencé en 2000, j’ai adapté, mis en lecture et mis en scène plusieurs de ses textes. Elle est venue voir les spectacles. Je ne peux pas parler de collaboration, mais nous nous retrouvons à chaque livre. Nous avons une relation que j’aime beaucoup ; on s’appelle, on parle. Avec Les Années, j’ai davantage hésité. C’est une somme incroyable, et je ne savais pas par quel bout la prendre ! Et puis, d’un coup, c’est arrivé, ça m’a paru évident ! J’ai choisi d’adapter la première partie, de 1940 à 1975. C’est l’histoire d’une génération, mais c’est aussi mon histoire, celle de mes sœurs. Ernaux a fait un travail remarquable pour la mémoire des luttes féminines de cette époque. C’est essentiel de le faire, non pas pour jouer les anciennes combattantes, mais parce que « l’Histoire est un tremplin pour l’avenir », comme le dit Michelle Perrot. Il faut faire l’Histoire et non pas la subir : voilà ce j’ai eu envie de dire.
A qui s’adressent ces souvenirs ?
J. C. : Le spectacle parle à toutes les générations. Quand nous l’avons créé, à Cergy, il était frappant de voir les jeunes et les vieux se parler en silence pendant la représentation, et dialoguer ensemble après. Je pense que cela fait partie de l’œuvre d’Annie Ernaux, car la force de son écriture tient à la manière dont s’y tissent l’intime et le politique. Très peu d’œuvres parlent à un grand nombre de personnes. Annie Ernaux parle à tous : aux hommes autant qu’aux femmes. Il n’y a pas de psychologie ; elle fait arriver le temps, le passage du temps, la mémoire, et on le revit en le lisant, même si on ne l’a pas vécu ! Elle dit les choses qui ne sont pas dites, elle transgresse les tabous, elle expose sans expliquer : en cela, elle parle particulièrement et incroyablement aux jeunes filles d’aujourd’hui.
Comment adapter ce texte ?
J. C. : Je suis passée par des lectures, des stages, l’unicité, la multiplicité, pour arriver à deux rôles, portés par une femme et un homme (Denis Léger Milhau et Agathe Molière) et la voix de l’écrivain (Tania Torrens). Ils ne partagent pas le texte mais retrouvent ensemble comment se tissent le « nous », le « on », le « je », le « elle ». Je voulais faire entendre cela ainsi que toutes les injonctions de la société de cette époque. Il y a des moments d’émotion, mais aussi beaucoup d’humour. C’est très ludique, et je sentais qu’il fallait que ça soit léger tout en disant des choses graves : la salle rit, et j’aime qu’on rit !
Propos recueillis par Catherine Robert
Mercredi, jeudi et samedi à 19h30 ; mardi et vendredi à 20h30 ; dimanche à 16h. Rencontre avec Annie Ernaux, le 5 novembre, à 15h, à la Médiathèque Pablo-Neruda. Tél. : 01 55 48 91 00.
Suite de phrases sans personnages, La [...]