La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Declan Donnellan

Declan Donnellan - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 janvier 2011 - N° 184

Prospéro, un homme occidental

Après un éblouissant Macbeth l’an dernier, qui révélait comme jamais le couple Macbeth aux prises avec l’horreur du meurtre, Declan Donnellan crée La Tempête avec “sa“ troupe russe. Entre réalité et illusion, théorie et pratique, se joue le difficile apprentissage de la vie : une nouvelle occasion pour le grand metteur en scène de restituer au plus près la complexité humaine.

Pourquoi avez-vous décidé de monter La Tempête avec les acteurs russes ?
 
Declan Donnellan : Le festival international de théâtre Tchekhov à Moscou et son directeur Valery Shadrin ont inauguré notre compagnie russe voici onze ans. Le scénographe Nick Ormerod et moi-même ainsi que toute notre équipe avons passé plusieurs années à décider d’une quatrième pièce à monter pour notre ensemble d’acteurs. Nous avons finalement choisi La Tempête, une pièce merveilleuse véritablement adaptée à ces acteurs. 
 
« Prospéro, un homme moderne en proie à ses illusions. »
 
Croyez-vous que Shakespeare pensait au projet colonial britannique en écrivant la pièce ?
 
D. D. : Oui, tout à fait, parmi d’autres thèmes qui l’obsédaient. Il explore dans cette pièce l’idée de l’homme occidental, un homme plutôt vénal, ici en interaction avec des insulaires inconnus et mystérieux. Shakespeare est en particulier fasciné par l’idée de l’Etat, et j’entends par là l’Etat théorique. C’est en effet au moment où la pièce a été écrite que des interprétations théoriques de l’Etat ont été élaborées. Des concepts “super-nationaux“ concernant la Grande-Bretagne, la Russie, et la France se sont alors développés, concepts qui plus tard ont fourni un cadre favorable à une expansion massive des empires. Dans La Tempête, différents personnages projettent diverses conceptions de l’Etat, à travers trois Etats imaginaires.      
 
Que pensez-vous de Prospéro, Père, Duc déchu et magicien ? Quelles relations entretient-il avec les autres personnages ?
 
D. D. : Prospéro a besoin de tout contrôler. C’est un homme moderne en proie à ses illusions. Il ressent qu’un grand tort a été commis contre sa personne et a envie que ses ennemis s’excusent. Mais en fin de compte c’est lui qui devra apprendre à pardonner, écoeuré par tous ces fantasmes de contrôle. Comme nous tous, il se trouve dans la nécessité d’apprendre qu’il est largement désemparé. Prospéro se tient à part, il est obsessionnel, intelligent, compulsif, perfectionniste, borné, paranoïaque. Il s’apitoie sur son sort et a d’énormes problèmes avec l’empathie. Il est pathologiquement envieux, pathologiquement convaincu de ses droits, pathologiquement ingrat. Au vingtième siècle, nous n’avons pas trouvé les mots pour décrire certains aspects de ces malaises apparemment modernes. Nous utilisons des étiquettes comme «  troubles de l’autisme », ou « syndrome d’Asperger ». Mais la vision de Shakespeare semble être moins catégorique, et semble indiquer que nous sommes tous la proie de certains éléments de ces maladies. Avec Prospéro, un homme très particulier et très amer, Shakespeare suggère que la guérison peut avoir lieu. La rédemption est possible si nous pouvons pardonner, et si nous pouvons même, peut-être, faire preuve d’un peu de gratitude. Ironiquement, c’est l’esprit non-humain, Ariel, qui recommande le pardon comme étant une sorte de don spécial, réservé aux humains !    
 
Prospéro est-il comme le metteur en scène plus ou moins assuré de l’histoire ? Et Shakespeare, en écrivant sa dernière pièce, fait-il lui  aussi ses adieux à son art ?
 
D. D. : Il n’y a aucune preuve qu’il s’agisse de la dernière pièce de Shakespeare. Et peu d’auteurs savent de façon certaine quelle sera leur dernière pièce. Quant à Prospéro, il pense qu’il contrôle l’intrigue. Mais nous faisons tous cette erreur, pas seulement les metteurs en scène ! Il est utile pour nous tous de garder en tête que l’intrigue est toujours incontrôlable… La vie est difficile pour nous tous, mais pas seulement parce que la réalité est dure. Ce sont nos illusions qui sont vraiment terrifiantes !
 
Propos recueillis et traduits par Agnès Santi


La Tempête de William Shakespeare, mise en scène Declan Donnellan. Du 26 janvier au 13 février 2011, du mercredi au samedi à 20h45, dimanche à 17h. Théâtre Les Gémeaux, 49 av Georges Clémenceau à Sceaux. Tél : 01 46 61 36 67.  Spectacle en russe surtitré.

A propos de l'événement


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