La Terrasse

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Théâtre - Entretien

C’est comme ça (si vous voulez) d’après Luigi Pirandello, mise en scène de Julia Vidit

C’est comme ça (si vous voulez) d’après Luigi Pirandello, mise en scène de Julia Vidit - Critique sortie Théâtre Nancy Théâtre de la Manufacture - CDN Nancy-Lorraine
© Jeanne Dreyer Julia Vidit

Théâtre de la Manufacture – CDN Nancy Lorraine et tournée / d’après Luigi Pirandello / mise en scène de Julia Vidit

Publié le 27 janvier 2022 - N° 296

Julia Vidit adapte une pièce de jeunesse de Luigi Pirandello, C’est comme ça (si vous voulez). Dans cette comédie vertigineuse, elle voit un traitement passionnant de la notion de vérité. Un jeu à la vie à la mort.

Après La Bouche pleine de terre de l’auteur serbe Branimir Sčepanovič peu connu en France, vous revenez à un auteur célèbre : Luigi Pirandello. Vous optez toutefois pour une de ses pièces les moins montées. Pourquoi ce choix ?

 Julia Vidit : Cette pièce de jeunesse de Luigi Pirandello m’intéresse depuis longtemps. Extrêmement bien pensée, précise, sa structure crée chez le spectateur un vertige total tout en suscitant le rire. Car c’est une comédie. Une comédie redoutable derrière une apparence toute simple. Pirandello n’y développe pas encore le théâtre dans le théâtre, pour lequel il est aujourd’hui reconnu : il y parle du monde et s’adresse à tous, et non aux seuls membres de notre milieu théâtral comme il a tendance selon moi à le faire par la suite. Comme la plupart des pièces de jeunesse toutefois, celle-ci contient en germe bien des traits d’écriture de Pirandello tel qu’on le connaît aujourd’hui.

 Ce n’est pas la première fois que vous montez une pièce méconnue d’un auteur célèbre : votre mise en scène du Menteur de Corneille constitue un précédent. Que cela révèle-t-il de votre rapport au répertoire ?

J.V. : Les questions que posent les œuvres de répertoire – au sens d’œuvres écrites dans les siècles passés, qu’elles soient ou non connues – m’intéressent beaucoup. Comment les amener à nous ? Quelles audaces peut-on se permettre avec elles ? Dans Le Menteur, j’ai abordé ces interrogations avec l’auteur et dramaturge Guillaume Cayet. Nous y avons répondu par l’ajout à la pièce d’un épilogue signé par lui. Avec C’est comme ça (si vous voulez), nous avons voulu aller plus loin dans le geste d’adaptation. En plus d’avoir resserré le nombre de personnages – il y en a 14 à l’origine – et redistribué leurs répliques, Guillaume a écrit un quatrième acte. Cela en dialogue avec moi et Emanuela Pace, à qui j’ai demandé de traduire la pièce : femme de théâtre en plus d’être traductrice, elle nous a beaucoup aidés à comprendre toutes les subtilités du texte de Pirandello. Cet acte supplémentaire est une passerelle entre 1917, année d’écriture du texte, et notre époque.

« Les personnages, de même que les spectateurs, montent vers une vérité qui reste inaccessible. »

Quelles thématiques présentes dans C’est comme ça (si vous voulez) permettent ce pont que vous dressez entre les époques ?

J.V. : Elles sont nombreuses, à commencer par celle de la vérité qui m’occupe depuis longtemps. Les pièces Illusions d’Ivan Viripaev, Le Menteur, et La Bouche pleine de terre questionnent chacune à sa façon la perception du réel. Dans la dernière par exemple, elle est intimement liée à la mort. Elle l’est aussi dans la pièce de Pirandello, où une communauté entière est prête à tout pour connaître la vérité d’un autre groupe, qui vient s’installer sur ses terres suite à un tremblement de terre : celui du 13 janvier 1915 dans les Abruzzes au centre de l’Italie, qui fait 30 000 morts et de nombreux déplacés à l’intérieur du pays. Construite sur une opposition entre bourgeois du Nord et réfugiés du Sud, la pièce fait écho aux inégalités, aux violences de notre temps. Mais ces tristes résonnances ne doivent pas faire oublier le plaisir du théâtre, de la comédie, que je partage avec une équipe qui rassemble des collaborateurs fidèles et des personnes avec qui je travaille pour la première fois.

Au lieu du salon bourgeois où Pirandello situe sa comédie, vous la placez dans une cage d’escalier. Pourquoi ce choix ?

J.V. : Avec Thibaut Fack, qui est mon scénographe depuis mes débuts, nous avons dès les prémisses du travail sur C’est comme ça (si vous voulez) pensé à un espace de jeu conçu selon les principes de l’escalier infini. Nous voulions que le décor donne l’illusion d’un escalier sans fin. C’est une construction mentale : les personnages, de même que les spectateurs, montent vers une vérité qui reste inaccessible. Il nous semble aussi que placer ces personnages dans une cage d’escalier plutôt que dans un salon renforce l’obscénité de leurs agissements. Le comique de la pièce y ressort avec une force particulière, d’autant plus que nous avons choisi de le pousser jusqu’à la caricature. Non pas dans le sens de la déformation, mais du reflet le plus fidèle de l’individu, qui permet à ses pairs de le reconnaître. Si elle touche à de graves réalités, la pièce de Pirandello est d’abord une incroyable machine de jeu, et nous entendons bien en profiter !

Propos recueillis par Anaïs Heluin

A propos de l'événement

C’est comme ça (si vous voulez)
du mardi 1 mars 2022 au dimanche 6 mars 2022
Théâtre de la Manufacture - CDN Nancy-Lorraine
10 rue Baron Louis, 54000 Nancy

le 1er et le 4 à 20h, les 2, 3 et 5 à 19h et les 3 et 6 à 14h30. Tel : 03 83 37 42 42. www.theatre-manufacture.fr. Également les 9 et 10 mars au Nest-CDN de Thionville-Grand Est (57), le 15 mars au Théâtre, Scène Nationale - Mâcon (71), du 17 au 19 mars au Théâtre de la Renaissance - Oullins (69), le 25 mars à L’Arc, Scène Nationale du Creusot (71), les 5 et 6 avril à L’Azimut - Antony/Châtenay-Malabry (92), du 9 au 24 avril au Théâtre de La Tempête - Paris (75), les 28 et 29 avril 22 au Trident, Scène Nationale de Cherbourg (50), le 3 mai au Salmanazar, Scène de Création et diffusion d’Epernay (51)…

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