« Je suis le vent » de Jon Fosse mis en scène par Emma Gustafsson : une plongée onirique dans la tempête de l’existence
Comédie de Béthune / de Jon Fosse / mise en scène d’Emma Gustafsson / collaboration artistique de Laurent Hatat
Publié le 18 décembre 2024 - N° 328Emma Gustafsson met en scène l’errance poétique et métaphysique de deux êtres déchirés par la mort, qu’incarnent, en dansant leurs amours et leur séparation, Anne Duverneuil et Nicolas Martel.
Quel est le degré de réalité du monde qui entoure « l’un » et « l’autre », ainsi nommés parce qu’ils sont sans doute tous les humains et aucun en particulier ? Leur univers s’inscrit dans l’indécidable, plus tout à fait celui des vivants, et pas encore complètement celui des morts. Ils sont sur un bateau, embarqués dans cet océan métaphysique qu’on appelle l’existence, où le calme cohabite avec les tempêtes. Ils pourraient être deux camarades de pêche, deux compagnons d’armes : Emma Gustafsson choisit d’en faire un couple. L’homme est parti, la femme le retient, le rejoint ; il la précède, elle le suit. Ils traversent une épreuve et l’on peut les imaginer dans un lit grand ouvert et défait, dans une vie aux étapes tumultueuses voire dans l’espace du théâtre des affects, entre rochers de papiers et suspensions fuligineuses. Suicide, deuil, mal de vivre, obligation de composer avec les contraintes de la vie sociale auxquelles il faut se soumettre même si on a le désir de prendre le large : la capacité de projection existentielle qu’offre le texte est très grande.
Elégance et délicatesse
La scène est un lieu onirique et symbolique qu’éclaire Anna Sauvage pour y accueillir les corps en mouvement de Nicolas Martel et Anne Duverneuil. Les deux danseurs et comédiens disent le texte et le tracent dans l’espace qui en intensifie le sens. L’écriture minimaliste de Jon Fosse laisse la place à la plastique des interprètes pour dire ce que les mots ne peuvent signifier à eux seuls. « L’un » a choisi de mettre un terme à sa vie ; « l’autre » doit parvenir à admettre sa décision. Entre prosaïque et sensualité, poésie et embrassades, les corps font et défont la relation. L’ensemble évoque les ancestrales danses macabres rappelant aux profanes que la mort est inévitable et qu’on peut même en rire, d’autant plus franchement que l’on ne peut rien faire d’autre que de l’accepter, à condition d’avoir la dignité de le faire avec élégance. Accompagnés et soutenus par la très belle musique de Martin Hennart, Nicolas Martel et Anne Duverneuil guident le spectateur dans cette traversée sur laquelle il peut projeter ses interrogations et ses angoisses, et, à son dernier repas, soutenu par le risque à prendre d’avoir l’autre à perdre, espérer voir la mer comme promesse d’infini et de paix.
Catherine Robert
A propos de l'événement
Je suis le ventdu mardi 21 janvier 2025 au jeudi 23 janvier 2025
Comédie de Béthune
138, rue du 11 novembre, 62400 Béthun
Du 21 au 23 janvier 2025. Mardi et mercredi à 20h ; jeudi à 18h30. Tél. : 03 21 63 29 19.
Tournée : du 30 janvier au 1er février au Théâtre de La Verrière, à Lille ; en mai au festival de Coye-la-Forêt ; en septembre au festival Tours d’Horizons
au CCN de Tours ; en janvier 2026, au Phénix, à Valenciennes. Durée : 1h10. A partir de 13 ans. Spectacle vu à La Manekine.