La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

J’ai rencontré Dieu sur Facebook

J’ai rencontré Dieu sur Facebook - Critique sortie Théâtre Paris La Maison des Pratiques Artistiques Amateurs
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texte et mes Ahmed Madani

Publié le 15 novembre 2018 - N° 270

Après Illumination(s) et F(l)ammes, Ahmed Madani poursuit son projet artistique autour de la jeunesse des quartiers populaires. En compagnie de Mounira Barbouch, Louise Legendre et Valentin Madani,  il éclaire dans cette nouvelle création l’itinéraire d’une radicalisation religieuse et la relation conflictuelle entre une mère et sa fille.

Que représente ce nouvel opus dans votre parcours ?

Ahmed Madani : Je poursuis avec cette nouvelle création un cycle artistique autour de la jeunesse des quartiers périphériques, intitulé Face à leur destin. Nourri d’éléments historiques, de données actuelles, de littérature, de rencontres, ce cycle confronte une multitude de points de vue, questionne et met en perspective le présent et la mémoire, la pluralité des cultures, les relations familiales… Une fois terminé, ce projet comportera six pièces. Chaque œuvre chorale y est accompagnée par une forme théâtrale plus classique qui permet de développer certaines problématiques. Le premier volet, consacré aux jeunes hommes, a donné naissance à deux créations : Illumination(s) (2012), une grande forme, et Je marche dans la nuit par un chemin mauvais (2014), conçu avec deux comédiens. Le second volet concerne les jeunes femmes : F(l)ammes (2016), toujours en tournée, fut créé avec une dizaine de jeunes femmes issues de l’immigration et des quartiers populaires, alors que J’ai rencontré Dieu sur Facebook, créé en novembre et dont j’ai entamé l’écriture dès 2014, met en scène une mère, sa fille et un jeune homme, autour du sujet de l’embrigadement des jeunes femmes dans les mouvances jihadistes. Le troisième opus impliquera des jeunes femmes et des jeunes hommes, et la pièce à venir en 2020 intitulée Incandescence éclairera une quête à travers la relation entre une jeune femme et son père. Toutes les pièces du cycle explorent diversement une question passionnante : qu’est-ce que ces jeunes ont en héritage et que vont-ils transmettre à leurs enfants ?

Qu’est-ce qui a particulièrement nourri J’ai rencontré Dieu sur Facebook ?

A.M. :  Les attentats terroristes de janvier 2015 contre la rédaction de Charlie-Hebdo et l’Hypercacher de la Porte de Vincennes ont évidemment bouleversé l’écriture de ce texte, et imposé d’aborder des thèmes qui interagissent et traversent la pièce : la radicalisation, la violence, l’appartenance religieuse, la foi, le fonctionnement des réseaux sociaux, les relations et conflits intergénérationnels. La pièce dévoile un dialogue qui se délite entre Salima, enseignante de français dans un collège de banlieue, et Nina, sa fille de 15 ans marquée par la disparition accidentelle de sa meilleure amie et tourmentée par une crise identitaire. Sur facebook, la rencontre avec un mystérieux Amar entraîne Nina sur la pente de  la radicalisation, un poison qui propose une voie pure, glorieuse, qui résout toutes les questions. La pièce éclaire les phénomènes de manipulation à l’œuvre sur les réseaux sociaux, qui transforment le rapport à l’autre et laissent place à un flux de mensonges.

« Le théâtre est un endroit où on peut réfléchir dans la joie, ce qui est génial ! »

Comment concevez-vous le rapport au public ?

A.M. : Le théâtre est un art de la présence, dans l’instant du face-à-face entre acteurs et spectateurs. Dans mes spectacles, la notion d’adresse est un élément essentiel de la dramaturgie, les interprètes racontent, parlent. Il s’agit de faire théâtre sans le théâtre, sans effets, en donnant vraiment l’impression d’être et non pas de jouer. Je souhaite ainsi faire tomber les masques, déjouer les idées toutes faites, et susciter l’empathie, en préservant toujours le sens de la vie. Ce sont les choses fondamentales de notre humanité qui m’intéressent : l’amour, la solitude, la mort, la perte d’un être cher… Au-delà de la culture et de l’histoire de chacun, au-delà de la dimension sociale et politique de mes propositions, je cherche à créer un théâtre où le spectateur puisse se reconnaître. Et un théâtre qui s’ouvre aux jeunes à la fois sur la scène et dans les salles.

Comment votre théâtre s’empare-t-il du réel ?

A.M. : Le théâtre me permet de transcender le réel, de l’amener à un endroit autre. Comme dans un rêve, un mécanisme de déplacement est à l’œuvre. Entre les mots, à l’intérieur de la narration, se nichent un sous-texte, des choses qu’on ressent, comme la détresse, l’espérance, des failles qui s’ouvrent ou se referment… Et  le théâtre permet d’appréhender les drames avec une forme de légèreté. Malgré la crise économique, la paupérisation, la relégation des quartiers périphériques, la responsabilité de l’Etat qui se délite face à une économie mondialisée, je défends l’espérance. Je me suis aperçu que sur un sujet aussi terrifiant que la radicalisation religieuse, j’ai écrit une pièce qui s’apparente davantage à une comédie qu’à une tragédie, où même si on n’évite pas le drame, une dédramatisation a lieu. Sans doute parce que j’éprouve une appétence pour l’humain, pour ses fragilités, ses incohérences et même sa méchanceté. Je m’efforce de sauver mes personnages, de les comprendre. Le théâtre est un endroit où on peut réfléchir dans la joie, ce qui est génial !  J’ai la naïveté de penser que le bon sens, la raison, l’amour vont l’emporter sur la déraison et la haine.   Sinon j’arrêterais de faire ce métier…

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

J’ai rencontré Dieu sur Facebook
du mardi 20 novembre 2018 au mercredi 21 novembre 2018
La Maison des Pratiques Artistiques Amateurs
4 rue Félibien, 75006 Paris.

Les 20 et 21 novembre 2018 à 21h. Tél : 01 85 53 02 10.

Tournée en cours : 23-24 novembre 2018 Le Colombier à Magnanville – 12 au 15 décembre 2018 La Maison des Arts de Créteil, scène nationale – 10 janvier 2019 Moulin des Muses à Breuillet dans le cadre de la programmation hors-les-murs du Théâtre Brétigny – 12 janvier 2019 Théâtre de Brétigny, Scène conventionnée à Brétigny-sur-Orge – 15 au 18 janvier 2019 Comédie de Picardie, scène conventionnée à Amiens – 14-25 janvier 2019 L’Atelier du Spectacle à Vernouillet – 1er février 2019 Théâtre de la Nacelle à Aubergenville – 21-22 février 2019 Le Sillon, scène conventionnée à Clermont l’Hérault.

Spectacle créé à la Ferme de Bel Ebat à Guyancourt les 8 et 9 novembre.

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