Jean Moulin
Renouant avec le théâtre historique déjà [...]
Simon Pitaqaj clôt le triptyque commencé en 2015 avec une adaptation d’un roman d’Ismail Kadare inspiré de la mythologie des Balkans. Redjep Mitrovitsa, Arben Bajraktaraj et Cinzia Menga y brillent intensément.
Né albanais au Kosovo, Simon Pitaqaj vit depuis vingt-cinq ans en France. Quinze ans après la guerre qui a disloqué son pays, il est retourné aux sources historiques et mythiques de ce conflit déchirant avec La Vieille Guerre – Bataille du Kosovo 1389. Vint ensuite Nous, les petits enfants de Tito, remarquable analyse de la situation psychologique et sociale des enfants de l’immigration, composée à partir de ses propres souvenirs. Le Pont s’inscrit dans cette veine mémorielle où l’identité se cherche sereinement, en tâchant de comprendre les situations grâce aux légendes et aux patients déchiffreurs qui les consultent sans en faire des contrats meurtriers. De manière plus explicite que dans les premiers volets du triptyque, Simon Pitaqaj montre comment les mythes peuvent devenir de redoutables instruments politiques.
Le théâtre rend grâce à la parole
Deux hommes se font face. D’un côté le Moine, qui connaît les antiques légendes ; de l’autre le Glaneur, qui veut les utiliser. Redjep Mitrovitsa et Arben Bajraktaraj les interprètent avec une intensité exceptionnelle, modulant de la voix et du souffle chaque étape de ce dialogue dense qui a des allures de combat chorégraphié. Entre les deux, Cinzia Menga incarne, par sa présence hypnotique, la femme emmurée dans le pont, le corps des suppliciés par l’Histoire et la tendresse qui doit demeurer comme espoir. Le conflit est entre ceux qui considèrent la parole comme un baume et ceux pour lesquels elle est une arme. La « besa » (la parole donnée) est le cœur palpitant de la légende de l’emmurée : le dédit est fatal et entraîne les hommes dans la spirale de la malédiction et de la haine. En disant à nouveau la légende du pont, Simon Pitaqaj et ses flamboyants comédiens paient la dette des serments oubliés. Le théâtre la répète pour qu’enfin l’Histoire cesse de la réclamer. Simon Pitaqaj, avec ce diamant noir théâtral, ne fait pas seulement œuvre d’orfèvre mythologue : il fait de la scène l’espace pacifique de la parole réconciliatrice.
Catherine Robert
Le 6 décembre 2018 à 14h15 (scolaire) et le 7 dà 20h30. Tél. : 01 69 22 56 19. Durée : 1h10. Spectacle vu au Colombier de Bagnolet.
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