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Théâtre - Critique

« Jag et Johnny » : Laurène Marx conçoit un « stand-up triste »

« Jag et Johnny » : Laurène Marx conçoit un « stand-up triste » - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Reine Blanche
Jag et Johnny de la compagnie Hande Kader © Simon Neaumet

Théâtre de la Reine Blanche / Texte de Laurène Marx et Jessica Guilloud / Mise en scène de Laurène Marx

Publié le 24 octobre 2025 - N° 337

Avec Jag et Johnny, l’autrice et metteure en scène Laurène Marx partage avec Jessica Guilloud les outils et techniques du « stand-up triste » qu’elle a conçu. Dans le récit de son propre transfuge de classe, la comédienne manque de la précision de point de vue et d’écriture nécessaires à ce genre théâtral.

La marge l’a menée au centre. Du moins d’un certain centre, celui du milieu théâtral. Le récit de ce qui fait de Laurène Marx une personne hors-normes, loin des schémas dominants, l’a en effet assez vite propulsée au sommet des institutions théâtrales. Le Festival d’Automne consacrait cette année à cette autrice et metteure en scène trans non binaire un portrait composé de trois spectacles, parmi lesquels celui qui l’a fait connaître, Pour un temps sois peu où elle raconte elle-même son parcours de transition de genre. Dans ses deux autres créations au programme, l’artiste n’est plus au plateau. Interprété par la comédienne congolaise Bwanga Pilipili, Portrait de Rita dont Laurène Marx signe l’écriture et la mise en scène raconte à la troisième personne l’histoire d’une femme, Rita Nkat Bavang, que l’expérience du racisme transforme en descente aux enfers. Jag et Johnny enfin, qui se joue aujourd’hui au Théâtre de la Reine Blanche, est le récit de Jessica Guilloud dite « Jag », raconté par elle-même avec des mots qu’elle a co-écrits avec Laurène Marx. À travers le rendez-vous qu’offre à celle-ci le Festival d’Automne, on observe la manière dont elle réinvente d’une création à l’autre les règles, les codes du « stand-up triste », terme qu’elle invente au moment de Pour un temps sois peu et qu’elle utilise depuis pour désigner son travail. La lumière qu’a jeté cette exposition parisienne sur le phénomène et la « méthode » Laurène Marx n’est guère favorable à Jag et Johnny, dont l’écriture et le propos s’avèrent bien en deçà des opus éclairés avec la même intensité.

 

La transfuge et son chien

 

La présence d’une flûte traversière aux côtés d’un micro, seul élément scénographique et technique visible dans tous les « stand-up tristes » de Laurène Marx, ouvre Jag et Johnny sur une promesse : celle d’une rencontre entre deux univers. Jessica Guilloud ne tarde pas à décevoir cette attente. Tout dans la narration de la comédienne porte les marques de fabrique de la compagnie Hande Kader – du nom de l’activiste trans turque assassinée en 2016 – fondée par Laurène Marx. La transformation en moins. Contrairement aux deux autres pièces citées ici, Jag et Johnny ne conte en effet nulle métamorphose. Elle ne relate même aucune progression de l’héroïne, qui du début à la fin de son heure de parole décrit une situation d’entre-deux, de flottement. Pour décrire son retour dans sa famille, et donc dans son milieu social d’origine qu’est celui de la classe populaire blanche, Jag n’a recours qu’à un minimum de dramatisation. Les récits d’anniversaires, de visites aux proches où affleurent autant diverses formes de violences que de relégation sociale, manquent de la structure dynamique à laquelle Laurène Marx a habitué son spectateur. Le regard que porte Jessica Guilloud sur le milieu manque aussi de clarté : entre amour et mépris, la jeune femme ne choisit pas. Et au lieu d’être une force, cette indécision pèse sur la proposition, donc la langue s’avère bien moins percutante que celle de Pour un temps sois peu et Portrait de Rita. Dans une première version du spectacle, Jag était au plateau avec sa chienne Johnny, présente dans la plupart de ses projets jusqu’à ce que la mort les sépare. Peut-être y avait-il là de quoi singulariser Jag et Johnny dans le paysage de plus en plus riche des récits de transfuge de classe. Le fantôme de Johnny n’y suffit pas.

 

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Jag et Johnny
du jeudi 16 octobre 2025 au mardi 25 novembre 2025
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis passage Ruelle, 75018 Paris

Les mardi et jeudi à 21h, samedi à 20h.

Tel : 01 40 05 06 96.

Durée : 1h.

Également le 16 avril 2026 au Théâtre Jean Vilar à Montpellier.

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