La Terrasse

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Théâtre - Entretien

Jacques Attali

Jacques Attali - Critique sortie Théâtre
Jacques Attali

Publié le 10 septembre 2008

L’antichambre des chambres à gaz

Mis en scène par Daniel Mesguich, le texte écrit par Jacques Attali retrace la réunion du 12 novembre 1938 où les dignitaires nazis décidèrent que ne seraient pas remboursés aux Juifs les dégâts de la Nuit de Cristal, que leurs biens seraient spoliés et qu’ils seraient exterminés. Goering, Goebbels, Himmler, Heydrich, Hitler : les bourreaux, avec un cynisme technicien et un bureaucratisme froid, préparent la Solution finale. Pleins feux sur des « salauds absolus », selon le mot de Jacques Attali.

Du Cristal à la fumée : quel est le sens de ce titre ?
Jacques Attali : Le titre renvoie au fait que la pièce raconte le conseil des ministres secret réuni par Hitler deux jours après la Nuit de Cristal. Les décisions prises ce jour-là ont conduit directement à la Shoah et aux fours crématoires. D’où l’expression « du cristal à la fumée ».
 
Pourquoi choisir le théâtre comme mode de restitution d’un tel événement ?
J. A. : Le théâtre est la meilleure façon de rendre compte de ce moment de confrontation entre des êtres de chair et de sang qui ont pris la décision d’exterminer une partie de l’humanité. De plus, le théâtre permet de montrer qu’il s’agissait de gens comme les autres, à la fois démesurés et ordinaires. C’est d’ailleurs en cela que repose la possibilité qu’une telle horreur recommence : dans le fait que ces êtres sont des monstres mais des monstres banals.
 
Faites-vous alors œuvre de moraliste avec cette pièce de théâtre ?
J. A. : Une œuvre de théâtre est d’abord et avant tout un spectacle. Mais en même temps, celle-là a évidemment vocation à faire réfléchir. La pièce montre seulement un conseil des ministres prenant une décision technique qui est en même temps une décision épouvantable. Mais la morale n’apparaît pas dans le texte de la pièce qui n’est pas didactique : c’est au spectateur de décider ensuite de la portée morale de ce qu’il a vu. Mais comprendre que ce que montre la pièce s’est produit et comment cela s’est produit, c’est aussi comprendre comment la chose a pu aussi se produire depuis en Yougoslavie, au Rwanda et peut toujours se produire à nouveau. Il est toujours d’actualité de comprendre pourquoi on a tué six millions de personnes parce qu’elles étaient juives.
 
« Le théâtre permet de vivre de l’intérieur cette scène où le nazisme décida d’en finir avec les Juifs. »
 
Comment avez-vous abordé ces personnages tous monstrueux au moment de les décrire ?
J. A. : J’ai essayé de les comprendre, d’étudier leurs caractères. Il n’y a aucun être bon dans cette réunion, pas un seul gentil ; ils sont lâches, ce sont des monstres, mais des monstres tous différents : aucun ne ressemble aux autres. Le théâtre permet de vivre de l’intérieur cette scène où le nazisme décida d’en finir avec les Juifs. Il est très intéressant d’être ainsi confronté à ces douze hommes qui, dans leur logique, n’ont pas d’autre solution que d’être des salauds absolus. Dans leur logique de folie et de barbarie, tout ce qu’ils décident est inéluctable.
 
De quels documents disposiez-vous pour informer votre écriture ?
J. A. : On dispose du verbatim de la réunion, qui a été sténographiée. 95% du texte relève de documents authentiques issus des archives, notamment celles de la compagnie d’assurance Allianz, des comptes rendus des procès de Nuremberg, des mémoires de Goebbels.
 
Comment avez-vous choisi de confier la mise en scène de votre pièce à Daniel Mesguich ?
J. A. : J’ai choisi Daniel car j’ai beaucoup d’admiration pour son travail de metteur en scène. J’ai senti chez lui une parfaite compréhension de ce sujet et une évidente capacité à le rendre au théâtre en le respectant. Daniel était l’homme adapté à cette situation. Pour le reste, lui seul a décidé de la mise en scène et du choix des comédiens.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


Du Cristal à la fumée, de Jacques Attali ; mise en scène de Daniel Mesguich. Du 16 au 28 septembre 2008 à 20h30 ; le dimanche à 15h ; relâche le lundi et le 21 septembre. Théâtre du Rond-Point, 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris. Réservations au 01 44 95 98 21.

A propos de l'événement


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