Œdipe-Roi
Antoine Caubet donne une version actuelle de [...]
Patrick Pineau met en scène Le Conte d’hiver, avec une bande de comédiens truculents et inspirés, qui s’emparent avec fougue et esprit de cette histoire de jalousie et d’exil, douloureuse mais cocasse.
Entre Léonte et Polixène, l’amitié est si grande que le premier est prêt à tout pour retenir le second auprès de lui. Il charge sa femme, la pure et honorable Hermione, d’insister pour que le roi de Bohême ne quitte pas la cour de Sicile. Mais les diplomatiques caresses de la reine font naître une jalousie féroce dans l’esprit du dément Léonte : l’amour de sa femme est davantage l’occasion que le rempart de sa folie. Il confond adultère et attachement courtois et soupçonne la tromperie perverse dans le bon sens de ses ministres. Accusant la vertu, provoquant l’exil et la mort de ceux qui l’aiment, le cœur glacé du roi devra attendre seize longues années avant que le pardon ne vienne récompenser son remords. Tout rentre dans l’ordre à la fin, et on célèbre l’union de l’innocence et de la jeunesse, symbolisée par l’idylle entre Perdita, l’exilée recueillie par des bergers, et Florizel, l’héritier de Bohême, qui comme tout bon prince de comédie, préfère les bergères, surtout quand elle sont des princesses déguisées.
Une véritable fête du théâtre
On peut évidemment faire pleurer Margot en racontant les affres sentimentales des grands : il n’est pas dit que Shakespeare, qui farcit sa tragédie d’intermèdes moqueurs, soit dupe de la bêtise de la situation ; il est certain que Patrick Pineau choisit d’en rire allègrement, en forçant le trait du grotesque. Cela n’empêche pas la mise en scène de prendre le parti de l’émotion, notamment au moment des poignantes imprécations d’Hermione à l’issue du caricatural procès qui la condamne. Patrick Pineau ridiculise avec finesse le crétin jaloux, les bergers niais et les tourtereaux naïfs. Les comédiens jouent subtilement des effets de contraste entre le drame et ses ressorts comiques, à l’instar d’Aline Le Berre, désopilante Paulina, sadique, torturant la contrition de Léonte. La belle scénographie use des images projetées pour installer d’emblée l’ambiance glauque d’une cour délétère. Par le moyen d’amusants gros titres détournés de la médiatisation people, elle permet à la fin de rappeler au public que, de Soraya à Lady Di, les puissants n’en finissent jamais d’exposer leurs turpitudes sentimentales aux candides qui se plaisent à les plaindre, se consolant ainsi de leur propre malheur… Plaisamment facétieuse, résolument enlevée et franchement drôle, cette version du Conte d’hiver, inventive et festive, rappelle cette grande vertu de la mise en scène : choisir un point de vue permet souvent d’en dire plus que le texte lui-même.
Catherine Robert