Ivo van Hove recrée « Après la répétition / Persona » d’Ingmar Bergman, une partition exigeante et âpre

Dix ans après l’avoir imaginée pour sa troupe le Toneelgroep Amsterdam, Ivo van Hove a recréé sa mise en scène avec des comédiens français, à l’invitation du beau festival montpelliérain Le Printemps des Comédiens. Admiratif de l’univers du réalisateur suédois, Ivo van Hove parvient à restituer dans ses adaptations scéniques la qualité introspective bergmanienne, qui fait tomber les masques et autopsie l’intime des relations humaines, avec ses élans et ses travers, ses faux-fuyants et ses crises. On se souvient du prodigieux Scènes de la vie conjugale (2011) (de loin, le plus réussi des trois opus) et du cruel Cris et Chuchotements (2009), présentés à la MAC Créteil par Ivo van Hove et son ensemble, qui n’étaient alors pas encore acclamés internationalement. Après la répétition / Persona rassemble deux œuvres différentes, qui résonnent entre elles et dans le secret de la vie de l’auteur, qui chacune à leur manière interrogent la place de l’art dans la vie – et vice-versa –, mais aussi le rapport conflictuel entre la sincérité et le mensonge, entre la vérité et ses masques. Après la répétition (1984) éclaire la vie d’un metteur en scène cinquantenaire, Henrik Vogler, qui vit par et pour le théâtre, quasi reclus dans une salle de répétition habitée par la machinerie du théâtre, habitée de fantômes du passé, où il s’attelle à la mise en scène du Songe de Strindberg. La jeune comédienne Anna Egerman, qui y joue Agnès, lui rend visite, ainsi que Rachel, vieille amie malade et alcoolique, à laquelle il a confié un petit rôle (notons que le vieillissement n’est pas un sujet fictionnel, surtout pour les actrices).

Un territoire mental primitif

 À l’inverse, Persona (1966) prend appui sur un décrochage radical du monde théâtral : la comédienne Élisabeth Vogler, en pleine représentation d’Électre, a brusquement cessé de parler puis s’est murée dans le silence. Après un séjour à l’hôpital, la doctoresse, qu’Elisabeth Mazev interprète impeccablement, décide d’envoyer sa patiente dans une maison isolée au bord de la mer, accompagnée par une jeune infirmière, Alma, qui livrera un flot de paroles sur sa vie intime à son interlocutrice mutique. Charles Berling, remarquable interprète dans l’excellent Vu du Pont d’Arthur Miller qu’Ivo van Hove a créé en 2016, est Henrik. Avec une grande justesse, il orchestre à merveille les contradictions de son personnage, le lien entre physicalité brute et mots justes, disant la fragilité, la volonté de contrôle… Justine Bachelet (Laura dans La Ménagerie de verre présentée au Théâtre de l’Odéon la saison dernière), interprète la jeune Anna, irradiant par sa présence et sa voix singulières, et déploie encore davantage son talent dans le rôle d’Alma. Emmanuelle Bercot, intense, précise et pleine de tumultes intérieurs, est Rachel, puis Élisabeth, qui existe pleinement sans les mots. Après la première partie, le scénographe d’Ivo van Hove, Jay Versweyveld, fait tomber les murs du théâtre et nous emporte dans un espace fantasmatique, archaïque, écho somptueux à l’île de Fårö où vécut le cinéaste. Dans ce territoire mental aride cerné par la mer, se joue une partition exigeante, âpre, lancinante, où le présent est irrigué de blessures et de silences. Ivo van Hove et les siens y font la preuve de leur engagement.

Agnès Santi