La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Isabelle Starkier

Isabelle Starkier - Critique sortie Théâtre
Isabelle Starkier

Publié le 10 février 2008

Le Bal de Kafka : une comédie débridée et émouvante

Le Bal de Kafka, écrit par un auteur australien, Timothy Daly, s’inspire de la vie de Kafka et de ses questionnements. Isabelle Starkier, directrice du Star Théâtre, s’empare avec jubilation de cette comédie émouvante, grinçante et grotesque.

Pourquoi avez-vous décidé de porter à la scène la pièce de Timothy Daly ? En filigrane, pourquoi admirez-vous Kafka ?

Le bal de Kafka est une pièce drôle et surprenante, extrêmement fidèle à la vie que Kafka met lui-même en scène dans sonJournal, porteuse d’un éclairage nouveau sur La métamorphose et sur les processus de création de l’oeuvre, et pour celui qui ne connaît pas Kafka, elle donne les clefs qui entrouvrent la porte de son univers (je pense notamment aux élèves souvent déconfits, voire rebutés par l’apparent hermétisme de Kafka). Et c’est pour cela que j’aime tant son œuvre, que cette comédie révèle : elle est pleine d’humour et d’onirisme, de signes d’une théâtralité débridée, de mises en abyme et d’émotion grinçante.

La pièce combine réel, fiction, rêve, théâtre. Comment associer ces divers aspects sur scène ?

C’était là un pari très théâtral. Kafka s’endort et parfois rêve éveillé, il voit les personnages de sa propre histoire (son père, sa mère, sa soeur et sa fiancée) métamorphosés en acteurs du théâtre yiddish, bien décidés à lui apprendre à jouer son propre rôle… J’ai bien sûr introduit le masque, et la table familiale autour de laquelle se jouent les scènes de vie se transforme en tréteaux sur lesquels Kafka apprend à jouer. Nous avons longuement travaillé, avec une équipe formidable de comédiens, sur le jeu grotesque du théâtre yiddish, très proche de l’expressionnisme. Il fallait comprendre comment garder l’authenticité quasi hiéroglyphique du geste dans l’apparent "sur-jeu", dans l’outrance qui n’est pas caricature… J’ai beaucoup pensé au travail de Kantor où la frontière du rêve et de la réalité disparaît dans la transposition esthétique.  

La pièce s’intéresse à Kafka l’homme, à Kafka l’écrivain, à cette impossibilité de réconcilier les contraintes de l’existence et celles de l’écriture. Chaque scène commence par une citation – La Métamorphose. Comment la pièce met-elle en lumière l’acte de création littéraire ?

 
Il y a à la fois contradiction et souffrance dans l’incompréhension que la famille et en général la société jette sur l’auteur, mais c’est ce qui nourrit aussi en retour son oeuvre. Cette dialectique du réel et de la fiction est sans cesse en jeu dans la pièce qui met Kafka, en Woody Allen avant la lettre, aux prises avec l’obsession du quotidien qui alimente sa névrose littéraire, il n’arrête pas de faire des listes et c’est drôle et tragique à la fois. Les scènes s’emboîtent l’une dans l’autre (rêve et réalité, famille et acteurs) autour de la lente écriture de La métamorphose – dont on entend en effet le cheminement parallèle – et qu’il finira par lire à sa famille au cours d’une scène hilarante et atroce où tout le monde s’en fiche éperdument…
Une succession de glissements et de transformations façonne les personnages, de la cellule familiale aux acteurs de théâtre Yiddish, et le tout bouillonne de vie ! Le grotesque n’empêche pas l’émotion… Comment avez-vous travaillé cette dimension grotesque et comique ?
 
Sans revenir au travail du jeu avec les comédiens, le grotesque permet d’être toujours sur le fil ténu entre rire et larmes, comique et émotion. C’est pour cela qu’il est l’arme de la distance critique qui ne s’immerge jamais dans un sentiment ou un point de vue… Le Bal de Kafka est une pièce extraordinaire parce qu’elle est drôle et émouvante à la fois, comme le personnage de Kafka. Les acteurs qui donnent au jeune Franz des leçons de diction ou de mouvement en le trouvant affreusement mauvais sont à la fois pathétiquement ridicules – et mauvais eux-mêmes comme le disait Kafka pourtant fasciné dans son Journal –  et grandioses dans ce qu’ils représentent. La musique klezmer, qui ponctue le spectacle, a ces mêmes vertus douces-amères du grotesque.

« Cette dialectique du réel et de la fiction est sans cesse en jeu dans la pièce qui met Kafka, en Woody Allen avant la lettre, aux prises avec l’obsession du quotidien. »

La question de l’identité est centrale, ici une identité juive singulière, que l’artiste questionne, tout en questionnant la condition humaine dans son ensemble. Que dit la pièce sur cette question ?

 
La pièce pose la question de l’identité dans ses relations à l’intégration (et aux peurs de désintégration…) d’une façon profondément moderne. La "réponse" qu’offre Kafka au questionnement sur ses origines a une portée politique très actuelle : en lieu et place d’un retour au communautarisme religieux qui est une fermeture sur soi, il propose l’ouverture à l’Autre par l’universalité du geste créateur. Le jeune juif du début de siècle rejoint dans ses questionnements les jeunes de la seconde génération de notre début de millénaire. On a d’ailleurs pu assister à de surprenantes identifications entre des élèves venus assister au spectacle en tournée et Kafka… L’identité juive en général et Kafka en particulier posent cette question des racines et de l’assimilation de façon poétique et métaphysique, une "leçon" (de théâtre) qui doit nous faire rêver…
Propos recueillis par Agnès Santi  


Le Bal de Kafka de Timothy Daly, mise en scène Isabelle Starkier, du 13 février au 15 mars, du mercredi au samedi à 20H30, dimanche à 17H30, les 14,15,21 et 22 février et les 13 et 14 mars à 14H au théâtre de l’Opprimé, 80 rue du Charolais, 75012 Paris. Tél : 01 43 40 44 44.

A propos de l'événement


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