Illusions comiques

Certes, c’est bien pour ces dernières Illusions comiques de fanfaron bienheureux que Michel Fau est revenu arpenter la scène vivifiante d’Olivier Py, habitée des miroirs enluminés de loges de théâtre, d’un piano abandonné et de gradins majestueux pour cérémonies officielles. Le baladin sur le plateau est à la fois Monsieur Fau et Tante Geneviève puisque les acteurs fidèles au maître de céans- l’auteur, le metteur en scène et le comédien Olivier Py- interprètent non seulement leur propre rôle mais leur personnage de fiction. Pour l’heure, Fau est vêtu de rose acidulé de haut en bas, du petit ensemble classique chic jusqu’à des fesses rebondies qu’il ne peut s’empêcher de proposer à l’œil amusé du spectateur. Et sans la moindre vulgarité, va sans dire, l’ironie de l’histrion est menée et dominée avec brio et gourmandise. Il en va de même pour Mademoiselle Mazev qui joue son personnage satirique, la Mort et aussi Maman, la mère castratrice de celui qui conçoit la joie au théâtre, le royal Olivier Py dit Moi-Même, déambulant entre scène et salle jusqu’à la table de régisseur. Dans la magie d’une bonne humeur revigorante, l’enchantement pour le public de lycéens et d’étudiants opère. Serait-ce dû à Fau et à Mazev, deux figures scéniques rafraîchissantes aux sonorités vocales chantantes qui volent vers les aigues en fin de période ? Il y a aussi la prestance lyrique, romantique ou bien tragique de Monsieur Girard, le Ministre de la Culture, le Pape…, mais aussi le Poète mort trop tôt – la pièce est un hommage à Jean-Luc Lagarce, disparu depuis dix ans, et dont la reconnaissance a été largement posthume : «  Peu m’importait la gloire, je voulais la vie… »

Vivre un présent dans l’ivresse d’une eau de jouvence éternelle.

Sont égrainés pour l’occasion, quelques souvenirs communs – Lagarce, Py et les autres- de tournées minables entre exaltation et mélancolie, Verdun, Lisieux, Vesoul… Virevoltante dans l’espace de jeu, la tournure burlesque de Monsieur Balazuc qui interprète un directeur de théâtre, un spectateur de gauche, un révolté… Voilà des Illusions comiques perçues telle l’existence, entre rêve et réalité, pour un éloge endiablé des comédiens et de l’art du théâtre. Billevesées  que tout cela ? Peut-être, mais un rendez-vous avec Dieu et la décentralisation, le théâtre public et le poème dramatique. Comme si écrire pour la scène procédait d’un fourre-tout inénarrable d’élucubrations sur le théâtre citoyen, le salut de la civilisation, la philosophie et la métaphysique, la littérature du sens, la gloire du verbe… La mère pense que le fils a bu trop de café ! Mais Py voit juste : le théâtre n’est récupérable ni par les marchands ni par la religion ni par la science. Ne parlons pas des vaudevilles de la politique ni de la société du spectacle. Le théâtre s’attaque aux facéties d’époque, comme ce rêve d’« être à la mode,… le sommet de l’éthique… » La fiction facétieuse ne s’en révolte pas moins contre la dictature de l’authenticité, de la vérité et de la sincérité. Cet art en cent définitions ne peut rester que libre et libertaire : « Le théâtre est une idée de l’éternité qui n’a besoin d’aucun paradis ». Malgré des boutades déversées en cascade et des complaisances à répétition, reconnaissons à ces Illusions le bonheur présent de vivre l’ivresse d’une eau de jouvence éternelle.

Véronique Hotte

Illusions comiques
D’Olivier Py, mise en scène de l’auteur, du 20 au 30 septembre au théâtre de l’Odéon. Rés : 0144854040 ou www.theatre-odeon.fr.Lire aussi la présentation de la saison de l’Odéon dans ce même numéro.

Texte publié par les éditions Actes Sud-Papiers.