Il Tartufo de Molière mis en scène par Jean Bellorini

Qu’est-ce qui vous a orienté vers Le Tartuffe, lorsque le Teatro di Napoli – Teatro nazionale vous a sollicité pour mettre en scène un spectacle ?

Jean Bellorini : Le Tartuffe fait partie des pièces que je rêve d’interroger depuis longtemps, notamment pour investir son rapport au jeu, sa relation à la vérité, pour éclairer les questionnements fondamentaux qui la composent : qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux… Mais jusque-là, je n’avais jamais osé le faire. Lorsque la proposition de travailler au Teatro di Napoli m’a été faite, je me suis dit qu’une pièce de Molière en vers, traduite en italien, sans alexandrin mais avec une dimension poétique, pouvait m’amener à faire ce que je ne m’étais jamais autorisé à accomplir en langue française.

D’où vous venait ce blocage ?

J. B.: En mettant en scène Molière dans notre langue, qui est une langue cérébrale, une langue un peu froide, j’avais peur de le trahir. Car pour moi, son théâtre est baroque et joyeux. Tout à coup, l’idée de faire résonner Le Tartuffe à travers des sonorités italiennes, avec des acteurs qui parlent vite, qui déploient un théâtre coloré, musical, un théâtre d’une grande vivacité d’esprit, m’a donné de l’audace.

« Nous sommes tous des tartuffes, nous naviguons tous en permanence entre le vrai et le faux. »

Comment le traducteur, Carlo Repetti, a-t-il réinventé la langue de Molière en italien ?

J. B.: Nous nous sommes mis d’accord sur la nécessité de conserver une forme poétique. Rien n’est systématique, mais Carlo Repetti a travaillé sur des assonances, voire sur des rimes, ainsi que sur une rythmique qui crée une versification libre, un peu comme chez Koltès ou Claudel. Tout cela, avec la volonté de ne jamais sacrifier le sens à la forme.

Vous avez choisi de situer l’action du Tartuffe au sein d’un décor de cuisine, dans une époque proche de notre modernité…

J. B.: Ma mise en scène est chargée du cinéma italien, notamment celui d’Ettore Scola, ainsi que de l’univers de la variété italienne. Elle est empreinte d’une joie nostalgique et vivifiante. Les personnages de la famille cabossée que nous découvrons évoluent au sein d’une grande cuisine déconstruite. C’est là qu’ils prennent conscience du désastre, du chaos dans lequel ils tombent. Ils ont bien sûr l’intuition que Tartuffe, quoique charmeur et sympathique, est un imposteur, mais ne savent pas où se tourner. Ils ont aussi la crainte que la perte de repère dans laquelle les plonge la fin de la pièce puisse être encore pire que cette imposture. Le Tartuffe est une magnifique déclaration d’amour au théâtre. Ce que l’on entend, je crois, de plus universel dans cette pièce, c’est que nous sommes tous des tartuffes, nous naviguons tous, en permanence, entre le vrai et le faux.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat