Ne pas dénaturer le cirque
Venu du théâtre, professeur à l'ENACR et au [...]
Le Cirque contemporain en France
La Scabreuse (Nathan Israël, Julie Mondor, Tom Neal, Jean-Michel Guy et Fred Cardon) est un collectif à géométrie variable. Le solo L’Homme de boue, conçu et interprété par le danseur et jongleur Nathan Israël, mis en scène par Luna Rousseau, se fait miroir de notre humanité.
Comment rendre compte de la genèse et du processus de vos créations ?
Nathan Israël : Dans mes spectacles, j’abord des thèmes essentiels qui ne sont pas intrinsèquement liés à ma pratique de circassien. Dans L’Homme de boue, j’ai cherché à questionner ce que ma pratique raconte d’existentiel, de profond, sans demeurer dans un rapport technique à elle. M’intéresse davantage le rapport à ma discipline qu’à sa technique. Il y a certes de la jonglerie dans ce spectacle, mais assez peu. Au cirque l’utilisation de l’exploit crée un effet sur le public, et il est difficile d’échapper à l’esbroufe. Je suis façonné par les livres que j’ai lus, les professeurs que j’ai rencontrés aussi bien à l’université que dans les écoles de cirque, les différents stages que j’ai faits, notamment en buto. Tout cela s’agrège et crée des couches : selon les spectacles, certaines strates se révèlent plus que d’autres. Au sein de mon art, les questions qui vont outre le cirque m’intéressent. Les créations de La Scabreuse sont collectives : chacun y participe selon son endroit et ses enjeux de création. Nous mettons en commun en laissant la place à la complexité de l’autre. Les thématiques des premières pièces étaient communes ; avec L’Homme de boue, j’ai commencé seul mais je savais que j’allais faire appel à d’autres personnes comme coauteurs et non comme exécutants. La Scabreuse est une sorte de machine à faire naître des spectacles à géométrie variable.
Luna Rousseau : Nathan avait déjà pas mal de matière quand on a commencé à travailler ensemble. Il s’est agi de trouver de la cohérence, pour que ses idées aboutissent à quelque chose de concret au plateau. Avec Théo Girard pour la musique et Vincent Maire pour les lumières, tout s’est fait à l’intuition, par tâtonnements, dans l’imbrication des questions de forme et de fond. Même si elle suppose de nombreuses discussions hors de la scène, l’écriture se fait au plateau, afin de trouver une dramaturgie non illustrative qui puisse raconter une histoire là où il n’y en a pas, tout en laissant au spectateur la place de déployer son imaginaire. Le chemin pris s’est dessiné progressivement : il est évident qu’une telle démarche prend du temps.
Qu’apporte la dimension collective à la création ?
Nathan Israël : Dans la vie intellectuelle comme dans l’art, toute source d’inspiration ou de connaissance fait avancer la sensibilité. On fait feu de tout bois et à tout niveau. C’est pour ces raisons que je crois nécessaire de laisser la porte ouverte à plusieurs sensibilités pour façonner le spectacle : même si le travail est réfléchi, il faut éviter une maîtrise mentale trop contraignante, ou, mieux encore, être à la fois dans la maîtrise et son refus.
Propos recueillis par Catherine Robert
L’Homme de boue, tournée en cours.