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On ne peut tout à fait éviter l’académisation », et on peut la dépasser !

On ne peut tout à fait éviter l’académisation », et on peut la dépasser ! - Critique sortie
© D. R.

Publié le 10 octobre 2009

Enseignant à l’université de Lausanne et spécialiste de la socio-anthropologie des arts, de la culture, du travail et des professions, le sociologue Marc Perrenoud s’est tout particulièrement intéressé aux parcours des musiciens dont rendait compte l’ouvrage tiré de sa thèse : « Les musicos », paru à La Découverte en 2007.

Pourquoi la question de l’enseignement du jazz continue-t-elle de poser un problème ontologique ?
Marc Perrenoud :
Parce que le jazz s’est construit comme une musique singulière, contre la norme et contre l’institution. Il en est de même pour tous les genres musicaux postérieurs : l’enseignement du rock ou celui du rap posent les mêmes problèmes à ceci près que l’histoire « du jazz » telle qu’on a  l’écrite a permis de dégager un corpus stabilisé de « grands noms » et de « périodes » correspondant à des contenus musicaux bien repérables, donc « enseignables ».

« L’enseignement, en particulier en conservatoire, est un des éléments de la légitimation culturelle, mais il est à la fois moteur et produit de cette évolution. »

Existe-t-il un profil type de l’enseignant de jazz ?
M. P. :
Beaucoup de musiciens sont conduits à enseigner. En termes de profil sociologique, ce que l’on peut dire rapidement, c’est que le travail pédagogique nécessite la détention de propriétés que l’on ne retrouve pas chez tous les musiciens : être capable de patience, mettre à plat et objectiver ses connaissances, avoir le goût de la transmission… Certains musiciens se considèrent comme trop singuliers pour enseigner, d’autres ne sont pas assez sûrs de leur technique, d’autres enfin n’en ont pas besoin car ils gagnent suffisamment bien leur vie par ailleurs.

L’enseignement classique fait-il rentrer cette musique populaire dans le champ du savant ?
M. P. :
« La plus savante des musiques populaires et la plus populaire des musiques savantes », disait Sartre. Vieux débat. Faux débat : Miles Davis, John Lewis, faisaient-ils de la musique populaire ? Il me semble que tout dépend de quelle musique on joue et de où on la joue, dans quels dispositifs : on peut jouer du swing manouche qui transpire et qui rigole dans n’importe quel bistrot du monde et faire guincher la salle et on peut aussi jouer de la musique improvisée très aride dans des centres d’art contemporain devant les mines austères d’un public fort savant. J’ai fait les deux. Souvent. Où est le jazz là-dedans ? Peut-on en donner une définition essentialiste comme musique populaire ? Je ne crois pas. L’enseignement, en particulier en conservatoire, est un des éléments de la légitimation culturelle, mais il est à la fois moteur et produit de cette évolution.
 
Comment éviter le danger d’académisme ?
M. P. :
A moins de renoncer à tout enseignement, à toute politique culturelle, on ne peut tout à fait éviter l’académisation. Un ténor enfile les II-V-I à la Rollins, un batteur sort tous les plans typiques de Tony Williams, et alors ? On peut admirer la dextérité, prendre du plaisir à écouter et espérer qu’ils en prennent à jouer ce qu’ils ont appris à l’école, rien de mal à ça. Cela ne les empêchera pas plus tard d’aller au-delà de ce qu’ils ont appris s’ils en ressentent le besoin. Cela n’empêchera jamais non plus d’autres musiciens de ne pas passer par l’école ou le conservatoire.

Propos recueillis par Jacques Denis

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