La formation théâtrale en France
Le théâtre comme révélation de l’humain.
Lev Dodine du Théâtre Maly de Saint-Petersbourg a toujours associé son art de
la mise en scène à son activité de pédagogue, trouvant à l’école de l’Académie
Théâtrale les partenaires de ses créations, issues de ses propres cours
d’acteurs et de metteurs en scène. Le théâtre de Dodine avec sa célèbre troupe
du Maly privilégie une réflexion et une pratique longues sur les textes
contemporains. Aussi les acteurs sont-ils totalement engagés, poétiquement et
physiquement, pour un cocktail de traditions russes et de figures métaphoriques
universelles, comme pour les spectacles Frères et S’urs, Gaudeamus,
Vie et Destin…
Que dire du théâtre comme discipline artistique enseignée ?
Lev Dodine : On ne peut entendre le théâtre dans son essence ? comme
d’ailleurs n?importe quelle autre forme d’art -, que comme une tentative, et
jamais comme une ?uvre accomplie. L’esprit d’agressivité du show-business exige
la réalisation spectaculaire d’exploits scéniques manifestes. En échange, ce qui
nous importe avant toute chose, c’est l’idée de tentative : tenter de triompher
de ce matériau avec lequel nous travaillons, c’est-à-dire vaincre notre propre
silence, cette incapacité naturelle à nous exprimer pour finalement maîtriser ?
à la fin de la journée ? les lois de la gravitation.
« Le théâtre de nos jours n?accorde que très rarement au public la
possibilité d’éprouver de grands bonheurs ou de grandes douleurs. »
Qu?est-ce qu’il vous paraît fondamental dans la formation théâtrale des
jeunes acteurs ?
L. D. : Il est regrettable que seuls les peintres et les compositeurs de
musique acquièrent d’abord la maîtrise de leur art ? un vrai métier. C’est
seulement plus tard qu’ils transmettent leurs connaissances à leurs proches.
Dans le milieu du théâtre aujourd’hui, certains faiseurs prennent à peine le
temps de travailler à comprendre et à se rendre maîtres des lois fondamentales
de l’?uvre scénique. On ne peut jamais évaluer quelle sera exactement la
dimension exigée du talent de l’acteur pour qu’il mène à son aboutissement tel
rôle particulier. Apprendre et savoir à la table puis répéter sur le plateau ne
sont jamais des exercices achevés ou excessifs : on ne travaille jamais
suffisamment. L’âme et le corps d’un acteur nécessitent un état, une disposition
et un « training » quotidiens et continus. C’est uniquement à cette condition
que l’être humain digne du nom d’ « acteur » peut advenir et incarner
l’existence. Indépendamment de techniques utilitaires concernant l’ingéniosité
ou le talent, on se doit d’enseigner aux élèves comédiens cette aptitude à être
un artiste responsable.
Quelle est l’éthique qui sous-tend l’esthétique de ce théâtre ?
L. D. : Ce que nous faisons sur le plateau quand nous faisons du théâtre
? pardonnez-moi cette expression un peu stylée ?, c’est avant tout essayer et
tenter de comprendre pour quelles raisons et à quelles fins nous vivons, et pour
quelles raisons et à quelles fins nous mourons. Il ne peut exister d’autre
intention plus noble que celles-ci. Je suis convaincu moi-même que si les gens
vont au théâtre, c’est pour voir les mêmes questions posées. Malheureusement, le
théâtre de nos jours n?accorde que très rarement au public la possibilité
d’éprouver de grands bonheurs ou de grandes douleurs. Le bonheur et le malheur
sont ensemble des aventures qui nous rendent humains, dans ce sentiment
d’appartenir, ne serait-ce qu’une seconde, à l’humanité infinie. À l’intérieur
même de l’expérience de la compassion.
Propos recueillis par Véronique Hotte