La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

Le geste, le souffle et la vérité du présent

Le geste, le souffle et la vérité du présent - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Anne Alvaro, actrice accomplie de théâtre et de cinéma, revendique la part
autodidacte de sa formation théâtrale. C’est à la rencontre de metteurs en scène
emblématiques qu?elle doit tout, à la confrontation sur le plateau du texte et
du corps. À l’ERAC, elle travaille Troïlus et Cressida avec les élèves.


Vous avez frayé avec les plus grands, Engel, Lavaudant, Sobel, Vincent?

Anne Alvaro : J’ai eu la chance de rencontrer assez tôt Jean Négroni qui
dirigeait alors la Maison de la Culture de Créteil, et de fil en aiguille je me
suis retrouvée dans Le Regard du Sourd de Bob Wilson. J’ai
eu cette chance de recevoir des rôles importants par des metteurs en scène
différents et brillants avec lesquels j’ai eu l’exigence de travailler en
étroite collaboration. Je pense aussi à Denis Llorca, Anne Torrès, Gérard
Watkins et d’autres…

Quelles sont les vraies valeurs de la formation théâtrale ?

A. A. : Le temps et l’attention. J’ai eu en 1988 une première expérience
assez douloureuse d’enseignement lors d’un stage à l’École du Passage de Niels
Arestrup. Les conditions étaient périlleuses puisque j’avais cinq classes de
trente élèves par semaine, avec lesquelles je travaillais sur Macbeth. Je
n?avais pas de référent ni de souvenir précis d’une méthode d’enseignement : il
fallait que j’invente tout. Aujourd’hui, j’interviens à L’ERAC de Cannes avec
David Lescot, en travaillant sur une pièce de Shakespeare qui me hante depuis
longtemps, Troïlus et Cressida, traduite par André Markowicz. Nous avons
défriché un pan de la pièce en sept semaines, lors de la première année d’une
promotion de quatorze élèves. Le matériau de Troïlus et Cressida s’est
avéré une expérience collective magnifique. Nous avons poursuivi, la seconde
année, avec l’échéance d’une représentation pour l’ouverture de la Maison du
Comédien de Maria Casarès. Tous les élèves jouent vingt-cinq Grecs ou Troyens,
avec un ou deux rôles de femmes. Nous reprenons la mise en scène, cette
troisième année, pour la présenter au CDN de Montreuil, en sortie d’École, au
mois de juin.

« Si on n?entend pas distinctement la parole du poète, celle qui porte le
geste théâtral, il n?y a rien. »

Que doivent surtout travailler les élèves ?

A. A. : Il ne faut pas prétendre leur apprendre, nous ne sommes que des
jardiniers qui jetons des graines à la volée ; ça fleurit ou ça ne fleurit pas.
Les résultats ne sont pas immédiatement tangibles. Ce qui me paraît essentiel
dans l’art de l’acteur, c’est le rapport au texte dans la respiration. Si on
n?entend pas distinctement la parole du poète, celle qui porte le geste
théâtral, il n?y a rien. On souffre trop de l’emprise de l’ego, du sentiment, de
la vérité : ce sont des données à creuser, mais pas plus que la direction de la
voix, du souffle, du geste et de la danse. C’est le souffle qui fait bouger
l’acteur, pas la pensée. L’auteur engage de même son corps entier dans
l’écriture : l’acteur peut retrouver corporellement le tracé d’une ligne. Dans
sa Lettre aux acteurs, Novarina est exact. L’acteur sait mieux que
personne vers quoi il se dirige. C’est un long travail que d’accepter son corps
en liberté pour le mettre au service de la liberté de jouer. Le jeune acteur
doit pouvoir exercer ces trois sources-là comme un leitmotiv, le geste, le
souffle et la relation à sa vérité sur le plateau, sa vérité du présent.
L’énorme travail, c’est de retrouver la disposition propice au « maintenant ».
Selon Jouvet, le phénomène de la représentation n?advient que dans la rencontre
de ces trois sincérités, celle de l’auteur, de l’acteur et du public. L’acteur
se sent responsable de cette disponibilité : c’est à partir du moment où il joue
que tout commence. La façon dont la vie ?uvre en lui dans le frottement avec les
autres, d’un spectacle à l’autre, fait finalement du comédien un artiste juste.

Propos recueillis par Véronique Hotte

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