Le Conservatoire : former des musiciens indépendants
Le compositeur Bruno Mantovani a été nommé en août dernier directeur du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP). Étudiant en ce même lieu il y a dix ans à peine, il porte aujourd’hui des projets ambitieux pour la formation des jeunes musiciens.
Les étudiants du CNSM deviennent-ils tous professionnels de la musique ?
Bruno Mantovani : Oui. Le taux d’intégration professionnelle est de 98%. Il existe certes parmi eux une part de précarité mais les débouchés sont réels, au sein des orchestres comme dans l’enseignement. J’aimerais d’ailleurs que le CNSM prépare davantage au Certificat d’aptitude, le seul diplôme qui ouvre vraiment les portes de l’enseignement, et que l’on couvre davantage de disciplines comme le jazz ou l’électroacoustique.
Quelle place occupe la formation professionnelle au CNSM ?
B. M. : Aujourd’hui, beaucoup de jeunes musiciens sont très ambitieux en matière d’auto-production, ils communiquent à travers des blogs, des groupes Facebook… et en même temps, ils ont rarement une vision très réaliste de la vie musicale, de la vie institutionnelle, de ce qu’est l’argent public. C’est pourquoi nous organisons, dès la rentrée, des « Journées de la profession », avec des musiciens, des directeurs d’institution, des philosophes… Il s’agit de parler du métier dans ce qu’il a de plus noble, d’interroger sa place dans la société.
« La formation doit être ouverte à l’expérimentation. »
Le rôle du Conservatoire est donc avant tout d’ouvrir des horizons à ses étudiants.
B. M. : Je me méfie des instrumentistes qui, jeunes, restreignent leur champ d’action pour être plus efficaces. La formation au Conservatoire doit être ouverte à l’expérimentation, à l’erreur même, et permettre aux étudiants d’accumuler un maximum d’expériences diverses avant d’attaquer leur carrière.
Comment inciter les étudiants à cette ouverture ?
B. M. : Je crois que l’influence du maître est déterminante. Un maître, c’est quelqu’un qui ouvre des portes et l’un de mes rôles les plus importants est le recrutement de professeurs qui aient cette mentalité-là. Le respect du maître ne doit être ni une soumission, ni un mimétisme. Au contraire, le Conservatoire doit donner aux jeunes musiciens des outils leur permettant de devenir indépendants et autodidactes. Quand j’étais étudiant au CNSM, j’ai eu la chance d’avoir des professeurs qui recherchaient précisément cela, qui travaillaient à nous faire retrouver une « simplicité première ».
Quel est votre positionnement par rapport aux concours internationaux ?
B. M. : Je n’aime pas la mentalité d’efficacité que peut présenter leur préparation. Le concours ne doit pas être un but, mais un révélateur. Le concours pour entrer dans un orchestre me semble au moins aussi prestigieux et important.
La formation à l’orchestre au CNSM vous semble-t-elle suffisante ?
B. M. : Nous sommes en train de mettre l’accent sur la pratique collective, orchestre et musique de chambre. Nous allons par exemple multiplier les lectures d’orchestre parce que ce travail, indispensable, n’est pas suffisamment développé en France. Je suis très attaché à la notion de répertoire. Or, aujourd’hui, nombre de nos étudiants n’ont, à leur sortie du CNSM, jamais joué une symphonie de Brahms. De même, nous allons relancer les productions d’opéra au CNSM afin de permettre aux jeunes chanteurs d’être sur scène tout en continuant à étudier et nous nous penchons sur de nouvelles formations comme l’écriture de musique de scène ou de film.
Propos recueillis par Jean-Guillaume Lebrun