La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

L’apprentissage de la déscolarisation

L’apprentissage de la déscolarisation - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Elève d’Antoine Vitez et de Pierre Debauche au Conservatoire national
supérieur d’art dramatique, professeur dans cette même institution depuis 1983,
Daniel Mesguich a toujours considéré l’enseignement comme l’une des composantes
de son parcours d’homme de théâtre. Une composante qu?il conçoit comme une forme
d’adresse à l’avenir.


Vous enseignez l’art dramatique depuis près de 35 ans. Que pensez-vous du
système français de formation à l’art de l’acteur ?

Daniel Mesguich : Tout d’abord, je dois dire que je n?aime pas le mot
formation, car selon moi, il n?y a pas de forme à donner à un comédien. On
questionne, on accompagne, mais on ne forme pas un acteur. Mais pour répondre à
votre question, je crois que, finalement, je suis assez attaché à ce système un
peu chaotique, beaucoup moins droit et réglementé que les systèmes étrangers, au
sein duquel n?importe qui peut s’autoproclamer professeur de théâtre. Moi-même,
j’ai ouvert mon premier cours en sortant du Conservatoire, à l’âge de 21 ans.
Alors évidemment, on est en droit de se demander s’il ne serait pas préférable
d’exercer un contrôle sur l’enseignement théâtral. Car, autant je pense que l’on
ne peut pas former un acteur, autant je pense qu’un mauvais professeur peut à
jamais le déformer. Mais, un contrôle de la part de qui, et surtout sur la base
de quels critères ? Tout cela est très problématique. Malgré tout, je dois
avouer que je n?aime pas les systèmes très scolaires qui existent dans d’autres
pays. Pour moi, l’école est faite pour déscolariser les gens.

Qu?entendez-vous par là ?

D. M. : Pour reprendre un concept cher à Jacques Derrida, je pense qu’il
faut « déconstruire » le personnage, le sujet, la situation, l’intrigue? Se
déscolariser, c’est ça : remettre sur le chantier tous ces concepts, les
interroger. Afin de parvenir à un point où le comédien se met à penser son art,
à soi-même devenir metteur en scène. Ma manière d’enseigner le théâtre revient à
permettre à de gens d’enfanter et de présenter une ?uvre d’art.

Cette déscolarisation nie-t-elle l’apprentissage de la technique ?

D. M. : Je crois que l’on naît conventionnel et que l’on travaille pour
ne plus l’être. Finalement, en matière artistique, la masse de ce que je sais de
plus que mes élèves compte à peine. Ce n?est pas parce que j’ai beaucoup plus
vécu qu’eux, que j’en sais réellement plus qu’eux. Car tout est à réinventer en
permanence.

« Le simple concept d’école est en tension avec ce que je tente d’enseigner,
avec ma façon de relativiser la technique pour essayer de concentrer, à
l’intérieur du cours, le maximum d’expériences nécessaires à l’artiste. »

En cours, j’ai souvent l’impression de dire des choses qui m’exposent plus
moi, en tant qu’être, que la matière de ce que je suis censé exposer. Et la
déscolarisation, c’est également cela : dire que moi non plus je ne connais pas
les réponses. Un peu comme si l’on jouait déjà au théâtre, moi dans le rôle du
professeur et eux dans le rôle des élèves’ Je ne crois donc pas que la technique
soit si importante. Car je ne me vois pas comme un artisan. Je me suis toujours
revendiqué artiste. Un artisan sait ce qu’il va faire. Un artiste, lui, invente,
ne sait pas où il va. Je ne pense pas qu’il y ait des choses à savoir faire, et
qu’à partir d’elles, il soit possible de jouer. Ce que l’on appelle la technique
scolarise les élèves. Moi, j’essaie d’aller là où l’on ne sait pas faire, là où,
peut-être, l’on ne sait pas ce que savoir veut dire. D’ailleurs, pour moi, le
terme « école d’art » est un oxymore. Le simple concept d’école est en
tension avec ce que je tente d’enseigner, avec ma façon de relativiser la
technique pour essayer de concentrer, à l’intérieur du cours, le maximum
d’expériences nécessaires à l’artiste.

Comment envisagez-vous le rapport qui vous lie à vos élèves ?

D. M. : Je crois que je n?ai jamais considéré mes élèves comme des
élèves, mais comme des artistes auxquels j’essaie de transmettre mon expérience.
Quant on se rend au théâtre, on ne sait pas ce qui nous attend. Quand je
m’adresse à eux, c’est un peu la même chose, je ne sais pas ce qui m’attend. A
travers eux, je m’adresse à l’avenir, à ce que je ne connais pas. J’essaie de
m’imaginer ce qu’ils feront quand je serai mort. C’est ça ce que j’appelle la
transmission. Un futur mort, presque un mort, qui dit à des vivants certaines
choses, avec lesquelles ces derniers seront amenés à inventer d’autres choses,
quand ce futur mort sera mort. Et puis pour moi, enseigner, c’est aussi rendre
hommage à ceux qui, eux-mêmes, m’ont enseigné ce que j’enseigne. C’est pour
rendre à Antoine Vitez et aux autres que je parle à mes élèves. Qu?on le veuille
ou non, chaque artiste possède une dette, et cette dette est infinie, elle n?est
jamais remboursée.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

 

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