La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Les formations artistiques

L’accès au métier d’artiste : affinité des habitus et apprentissage rationalisé

L’accès au métier d’artiste : affinité des habitus et apprentissage rationalisé - Critique sortie

Publié le 10 octobre 2009

Sociologue, directeur de recherche au CNRS, chercheur au Centre de sociologie européenne (CSE), Gérard Mauger s’exprime sur les formations artistiques.

L’ouvrage que vous avez dirigé s’intitule L’accès à la vie d’artiste. Sélection et consécration artistiques. Pourquoi ne pas l’avoir intitulé L’accès au métier d’artiste ?
Gérard Mauger :
À vrai dire, j’ai publié simultanément deux livres sur le même sujet issus du même séminaire : le premier, publié en 2006 aux éditions de la Maison de Sciences de l’Homme, était intitulé, Droits d’entrée. Modalités et conditions d’accès aux univers artistiques. Pour le deuxième, paru la même année aux éditions du Croquant, il a fallu trouver un synonyme : ce fut donc L’accès à la vie d’artiste. Sélection et consécration artistiques. Ceci dit, l’anecdote n’ôte rien à la pertinence de votre question. Sans l’avoir vraiment prémédité, sans doute voulais-je signifier à la fois que le métier d’artiste est, plus que d’autres, solidaire d’un style de vie ou, en d’autres termes, que « l’habitus professionnel » imprègne l’ensemble des manières d’être « dans la vie » (« la vie d’artiste ») et que, de ce fait, la reconnaissance, comme la cooptation ou le recrutement, bref, l’accès aux métiers artistiques ne se fondent pas seulement sur l’apprentissage et la maîtrise (plus ou moins objectivés) du « métier », mais sur des affinités électives entre habitus. Et sans doute pourrait-on ajouter que « la vocation », souvent revendiquée par les artistes, résulte peut être autant de l’attrait qu’exerce la représentation commune de « la vie d’artiste » que de l’intérêt pour les métiers artistiques.

« L’accès aux métiers artistiques ne se fonde pas seulement sur l’apprentissage et la maîtrise (plus ou moins objectivés) du « métier », mais sur des affinités électives entre habitus. »
 
L’idée de démocratie culturelle à l’œuvre notamment pendant les années Lang a-t-elle eu un impact sur la formation artistique et la figure de l’artiste ?  
G. M. :
  La « démocratie culturelle » des « années Lang » peut être caractérisée par la réhabilitation et la consécration de productions « minoritaires », « populaires » ou « marginales », comme le rock, la bande dessinée, le cirque, la photographie, la mode, etc., mais aussi, paradoxalement, par l’extension de « la scolarisation des arts ». Paradoxalement, dans la mesure où la scolarisation et la professionnalisation qui en découle, tendent à disqualifier les amateurs, les « outsiders »… Quant aux effets de cette politique de « démocratisation culturelle », « l’inflation du culturel » a évidemment contribué à diversifier, sinon à « démocratiser », la figure de l’artiste – par exemple, en anoblissant les groupes de chanteurs, de danseurs ou de « graffeurs » qui se réclament du Hip Hop – et la scolarisation des arts à « formaliser », à « codifier », sinon à « normaliser », les formations artistiques.

Quelles sont selon vous les spécificités des formations artistiques par rapport à d’autres formations professionnelles ? Comment s’articule le lien entre formation professionnelle et recrutement des artistes ?
 G. M. :
Faute de pouvoir répondre au cas par cas, on peut dire, de façon générale, que les formations artistiques, parce qu’elles sont plus récentes que d’autres formations professionnelles, mais peut-être aussi parce qu’elles sont plus difficilement « scolarisables » que d’autres savoirs et savoir-faire, sont, pour la plupart, moins formalisées, laissant ainsi le champ libre à l’apprentissage sur le tas et à l’autodidaxie. C’est aussi pourquoi le recrutement, comme le montre bien l’exemple de l’audition dans une compagnie de danse contemporaine étudié par Pierre-Emmanuel Sorignet ou celui du « casting » étudié par Serge Katz, doit beaucoup à l’affinité des habitus : « parce que c’était lui, parce que c’était moi »… En fait, comme le montre également Serge Katz dans le cas des comédiens, il faudrait étudier, dans chaque cas, les rapports qui s’établissent entre marché du travail, formation scolaire et définition sociale du métier. À tel ou tel état du marché du travail correspondent des types de recrutement : recrutement temporaire de l’acteur adéquat pour un projet déterminé (caractéristique du secteur audiovisuel), à un pôle ; recrutement permanent dans une troupe d’un comédien dont on recherche la polyvalence, au pôle opposé. À ces types de recrutement, sont associées des procédures distinctes de recrutement : au premier pôle, correspondent les recrutements par « casting », au deuxième pôle, des « auditions » où professeurs et professionnels du spectacle « évaluent » les compétences des comédiens. À ces procédures distinctes sont associés des critères de qualification : dans le premier cas, il s’agit d’ « avoir la gueule de l’emploi », dans le deuxième, il faut avoir intériorisé les pratiques constitutives du « métier », étant entendu qu’entre ces deux pôles, prévalent les « affinités électives » entre comédiens et metteurs en scène. À ces critères, enfin, correspondent deux conceptions opposées du métier : à un pôle prévaut « l’idéologie du don », le pôle opposé étant celui de l’apprentissage rationalisé du métier, auquel est associée l’homologation scolaire des savoir-faire transmis.

L’accès au métier d’artiste est-il conditionné par un « droit d’entrée » et la détention d’un capital spécifique ?  Est-on là dans un univers très codifié ou au contraire très flou ?
G. M. :
L’accès au métier d’artiste  est toujours subordonné à un « droit d’entrée » ou à un « capital spécifique » – c’est là une propriété de n’importe quel « champ » de production de biens symboliques -, mais ce droit d’entrée est plus ou moins codifié, formalisé, objectivé, « scolairement certifié », de sorte que la correspondance entre les titres (scolaires) et les postes est plus ou moins lâche ou plus ou moins étroite. Les différents champs artistiques ont longtemps été caractérisés par le flou de leur « droit d’entrée » : la progressive scolarisation des arts tend à réduire ce flou.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le spectacle vivant

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le spectacle vivant