La Terrasse

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Les formations artistiques

La vocation à l’épreuve du réel

La vocation à l’épreuve du réel - Critique sortie
© Sébastien Laurent / Pierre-Emmanuel Sorignet, sociologue et danseur. Ici dans Mille départs de muscles d’Héla Fattoumi et Eric Lamoureux.

Publié le 10 octobre 2009

Pierre-Emmanuel Sorignet est danseur et sociologue. Danser, enquête dans les coulisses d’une vocation (Editions La Découverte, 2010) est une étude ethnographique qu’il a menée pendant dix ans en parallèle de sa carrière de danseur. Par la « participation observante » et les outils de la sociologie, il décortique toutes les composantes de la vie du danseur contemporain, notamment la formation et la question du marché du travail…

Dans votre livre, vous mettez en exergue la vocation comme préalable au métier de danseur.
Pierre-Emmanuel Sorignet :
Le moment de formation initiale est central, et complètement induit par la construction de la vocation. On ne devient pas danseur si on n’a pas de formation, mais aussi si cette formation n’est pas dirigée par le sentiment que l’on va se destiner à une vie d’artiste. La vocation se vit comme quelque chose de très individuel, mais c’est en fait une production collective : cela passe par exemple par l’investissement des parents, par le rapport aux professeurs, ou bien la lecture de magazines spécialisés… La construction de la vocation est une conjonction de nombreuses données qui désingularisent ce qui se vit sur un mode individuel.

Etre danseur, ça ne s’attrape donc pas par hasard ?
P.-E. S. :
Non, regardez les statistiques sociales des aspirants danseurs : ils sont plutôt situés dans les catégories supérieures ou moyennes de l’espace social. On peut dire que le danseur est un enfant situé dans les classes moyennes et ce que Pierre Bourdieu appelle « la petite bourgeoisie nouvelle », mais aussi dans les catégories supérieures. C’est aussi un enfant avec des configurations familiales très spécifiques : cela tient au rôle de la mère, au rang dans la fratrie (le fait que l’on soit le petit dernier, par exemple, et que le destin social des parents se réalise dans les aînés)… La vocation artistique reste la forme de transgression la plus acceptable dans les CSP +.

« Il y a une déconnexion entre la formation et la réflexion sur son ajustement au marché du travail. »

Vous remarquez une évolution du métier du danseur…
P.-E. S. :
Ce qui a changé, c’est à la fois la légitimation et l’institutionnalisation de la danse. Désormais, on a des centres de formation qui produisent des danseurs de qualité, mais un marché du travail de plus en plus restreint. Il y a aussi une diversification de techniques mobilisées dans les projets chorégraphiques. Aujourd’hui, deux tendances s’affrontent en terme de formation : la tendance académique, légitimiste, qui prône la transmission du répertoire de la danse contemporaine. La deuxième serait l’incorporation de techniques du corps un peu différentes. Aujourd’hui, on demande aux danseurs d’avoir des notions d’acrobatie, de savoir se mouvoir au sol, d’avoir une palette très étendue. La virtuosité physique a encore été repoussée, et on demande qu’ils sortent du cadre, qu’ils aient des personnalités hors normes.

N’est-ce pas une recherche utopique ?
P.-E. S. :
A quoi servent ces formations supérieures ? Servent-elles à placer des gens sur un marché du travail qui est de plus en plus complexe et concurrentiel ? Il y a une déconnexion entre la formation et la réflexion sur son ajustement au marché du travail. Bien sûr, il faudra toujours savoir faire une pirouette, mais les avis d’auditions d’il y a dix ans n’ont plus rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Dans les années 80, les chorégraphes avaient l’ambition de fonder une œuvre et de se poser comme passeurs. Ils n’avaient non pas des projets, mais un projet artistique pour lequel les danseurs restaient plusieurs années dans les compagnies. Les chorégraphes les formaient, et ils incorporaient une technique du corps liée à une vision du monde. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, car la plupart des compagnies sont dans la survie économique. C’est la recherche du mouton à cinq pattes : elles manquent de temps, il leur faut des danseurs plus performants dans leur engagement physique, dans leur disponibilité, dans leur caractère extraordinaire.

Que dire du désenchantement à l’œuvre dans le métier de danseur ?
P.-E. S. :
C’est une notion wéberienne liée à la question de la vocation. Le désenchantement n’est pas forcément quelque chose de négatif, mais né d’une prise de conscience de l’illusion de ce qui a permis l’entrée dans la vocation. Si l’on met à jour ce qui a fait ce dont on est le produit, alors on peut être désenchanté sans être déçu. On entre par vocation, sous un mode d’espérance de réalisation de soi, et on se retrouve confronté à la dureté du métier. La force du regard sociologique, c’est de mettre à jour tous ces mécanismes-là.

Propos recueillis par Nathalie Yokel

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