La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

La sensibilité plutôt que la technique

La sensibilité plutôt que la technique - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Philippe Adrien enseigne au Conservatoire national supérieur d’art dramatique
de Paris et dirige le Théâtre de la Tempête. Ses principes de pédagogue
rejoignent sa philosophie de praticien : faire advenir sur scène une nécessité
sémantique venue du fond du texte et de l’intérieur de l’acteur.


Dans Instant par instant vous insistez beaucoup sur l’environnement
culturel des textes.

Philippe Adrien : On peut « faire l’acteur » en étant assez ignare, c’est
justement pourquoi ça vaut le coup d’être armé, ne serait-ce que pour être à la
hauteur des textes qu’on est amené à interpréter. Un complément de formation est
d’autant plus nécessaire que les jeunes comédiens ont le plus souvent négligé
leurs études pour se concentrer sur leur objectif : monter sur la scène,
c’est-à-dire paraître. Or, si on privilégie trop cet aspect, on prend le risque
d’une défaillance du côté de l’être. L’enseignement de Stanislavski était basé
sur cette idée que les acteurs sur le plateau doivent être occupés par des
pensées, des sensations, une rêverie, peu importe, mais quelque chose. Pour
entrer en fiction, il faut des points d’appui. Il faut surtout n?être pas
seulement dans la préoccupation de la performance : jouer n?est pas une
course mais une présence.

« Jouer n?est pas une course mais une présence. »

Que pensez-vous des évolutions de la formation de l’acteur ?

P. A. : Autrefois, le rapport s’établissait d’abord avec un maître qui était
le plus souvent un praticien et une personne. C’était dans cette relation qu’on
s’engageait sur le chemin d’apprendre à jouer. Aujourd’hui, on croit qu’il y a
des techniques à glaner, qu’il faut multiplier les approches, les stages. Comme
tout le monde raconte à peu près la même chose, ça marche tout de même, certes,
mais il n?y a plus de place pour une relation privilégiée. Enseigner, c’est
apporter à des gens faits pour être artistes, tous différents, la petite clef
qui leur permettra, singulièrement, de trouver le passage? Mais au fond, tout
est dans les ?uvres et ce qu’on peut y découvrir, à savoir une supposée réalité
en rapport avec l’histoire, la poésie, la philosophie, etc. Telle est la tâche
de l’enseignant : ne pas abandonner les jeunes acteurs dans une ignorance
palliée par des techniques.

Selon quels principes enseignez-vous ?

P. A. : Mes deux soutiens dans la transmission sont Stanislavski et Brecht :
Stanislavski, qui a vraiment réfléchi sur la condition de l’acteur et ce qui
permet de développer sa sensibilité, et Brecht qui cite Hegel disant « la
vérité est concrète »
. Il est très important de préciser les conditions
concrètes de la fable et ce qui se trouve mis en jeu, concrètement, dans
l’échange de paroles. Le théâtre n?est pas de la littérature à réciter. Il
s’agit toujours d’atteindre à ce qu’on appelait à l’époque de Brecht le
réalisme, terme demeuré suspect aux yeux des artistes français qui n?ont jamais
réussi à le concevoir sérieusement. Il faut commencer par une réflexion sur ce
qui est nécessaire au développement de la fiction afin d’éviter le piège du
flottement dans l’idée. Former, c’est permettre cette extraordinaire rencontre
entre l’énergie naturelle d’un sujet et ce que l’?uvre dramatique va lui
communiquer comme force et comme folie, c’est permettre aux jeunes acteurs de
découvrir l’étendue, disons, le spectre de leur talent? et faire en sorte qu’ils
ne prennent pas peur !

Propos recueillis par Catherine Robert

Bibliographie : Philippe Adrien, Instant par instant ? en classe
d’interprétation
. Actes Sud-Papiers

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