Il faut développer très tôt les liens avec la vie professionnelle
Âgé d’à peine 35 ans, Alain Altinoglu a déjà séduit les plus grandes scènes internationales. Sa direction d’orchestre est l’une des plus convoitées du moment, particulièrement dans le monde lyrique. Entretien avec un musicien étonnant qui a gravi quatre à quatre les marches de la formation musicale.
Comment avez-vous été éveillé à la musique et quand avez-vous eu le déclic pour devenir musicien ?
Alain Altinoglu : Il n’y a pas eu d’événement particulier pour déclencher ma vocation. La musique fait partie de ma vie depuis mon plus jeune âge. Ma mère était pianiste et c’est à elle que je dois mes premières années de formation musicale. J’entendais les cours de piano qu’elle donnait à la maison. J’ai appris à lire les notes comme on apprend un jeu et je savais les déchiffrer avant même de savoir lire les lettres ; c’était un langage naturel pour moi. Je peux vraiment dire que je suis tombé dedans quand j’étais petit !
Quels ont été les professeurs qui vous ont le plus marqué ?
A. A. : Ma formation m’a amené à côtoyer beaucoup de professeurs différents. Je suis d’abord rentré au Conservatoire de Maisons-Alfort dans la classe de Myriam Birger. Puis j’ai intégré le Conservatoire de Saint-Maur où j’ai étudié avec Anne-Marie de Lavilléon. Enfin, j’ai suivi le cursus du CNSM de Paris.
Après leurs études, beaucoup d’étudiants rencontrent des difficultés pour se professionnaliser. Qu’en a-t-il été de votre côté ?
A. A. : J’ai eu la grande chance de pouvoir travailler très jeune. Dès 16 ans, je suis devenu chef de chant, ce qui m’a permis d’intégrer le monde de l’opéra. À l’âge de 18 ans, je donnais parallèlement des cours de piano au CNR. Puis, à 19 ans, je suis devenu assistant au CNSM. Naturellement, à cette époque, j’avais besoin de gagner ma vie, et c’est le piano qui m’a permis de me professionnaliser rapidement. Grâce à cet instrument, j’ai pu cumuler les concerts en soliste et les activités liées à l’accompagnement.
« Il faut laisser le temps au temps et surtout, ne pas oublier d’être soi-même ! »
La formation musicale en France prépare-t-elle bien, selon vous, à la vie de musicien professionnel ?
A. A. : En dirigeant récemment l’orchestre du Conservatoire de Paris, j’ai trouvé la préparation des jeunes meilleure que celle dispensée il y a quelques années. Mais il est évident qu’il y a encore beaucoup à faire pour développer des liens solides entre les Conservatoires et la vie professionnelle. Il faudrait permettre à un maximum d’étudiants de jouer dans les grands orchestres et de suivre les répétitions… Dans l’apprentissage musical, la pratique est indissociable de la théorie.
En plus de leurs études au conservatoire, les étudiants vont de concours en concours. Ils suivent un rythme très soutenu, parfois peut-être au détriment d’une réflexion plus profonde. N’y a-t-il pas là un risque de standardisation des approches musicales ?
A. A. : C’est problématique, en effet : d’un côté, il est important pour les jeunes de se faire connaître très tôt au travers des concours ; de l’autre côté, ils doivent avoir conscience que la maturation musicale demande du temps. Mais lorsqu’on s’en donne les moyens, il est possible de commencer jeune, d’acquérir de solides bases puis d’évoluer positivement vers son approche personnelle. Il y a un temps pour tout : la personnalité met parfois du temps à éclore et à se développer. Il faut laisser le temps au temps et surtout, ne pas oublier d’être soi-même !
Propos recueillis par Sébastien Llinares