Dystonie
La compagnie Defracto poursuit avec bonheur [...]
Après plusieurs pièces de transmission, Jérôme Thomas revient au solo. En joignant les mots aux balles, il porte un regard exigeant sur ses 35 ans de jonglage. Au bord de l’absurde, il questionne son geste.
« Bon bon bon… ». Au centre d’un des quadrilatères dessinés au sol par des adhésifs blancs, Jérôme Thomas cherche ses mots. Avec son air habituel de grand rêveur dépassé par le monde, il hésite. Se reprend à dix fois. Pas facile de prendre la parole après plus de trois décennies de jonglage muet. L’inventeur du jonglage cubique ou « jonglage à la portée de tous » relève le défi dans i-Solo, créé lors de la dernière édition de La Route du Sirque (6-25 août 2018), le festival du Pôle National Cirque de Nexon Nouvelle-Aquitaine dont il a été artiste associé pendant cinq ans. Dans sa scénographie qui évoque un chantier ou une scène de crime dessinée par un géomètre, Jérôme Thomas se lance dans un autoportrait à l’image de sa pratique du jonglage : tout en bonds d’un sujet à l’autre, d’une joie à une amertume. Entre développements sur le sens de sa discipline, et plus largement de la vie, et parenthèses oniriques avec balles blanches et autres objets. Plumes, cannes, chaises ou grelots.
Le jongleur à l’ère du vide
Dans i-Solo, mis en scène par Aline Reviriaud, Jérôme Thomas dit et montre sa lutte contre sa propre manière de jongler avec tout ce qu’il touche. Comme Johann Le Guillerm dans sa dernière création, Le Pas Grand Chose (2017) où il prenait lui aussi la parole pour la première fois, le jongleur utilise les mots comme un nouveau facteur de risque. D’intranquillité. Comme ses balles qu’il fait fuser entre deux monologues, les phrases deviennent dans sa bouche des choses à lancer en l’air et à rattraper. Dessinant au passage les contours d’une pensée inquiète face au vide et aux nouvelles technologies. Face à la révolution numérique, notamment, qui transforme les arts autant que le quotidien. Ciselés, pleins de l’humour et du sens de l’absurde qu’on lui connaît, les textes de Jérôme Thomas sont comme son jonglage chorégraphié : des poèmes adressés au monde sur le ton de la question.
Anaïs Heluin
à 20h. Tel : 03 60 01 02 40. www.cirquejulesverne.fr. Également les 5 et 6 février au Théâtre de l’Union à Limoges et au printemps au Théâtre Mansart à Dijon, dans le cadre du Festival Prise de CirQ’.