Entretien William Christie / « Je suis curieux de tout. »
©photo : William Christie
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Publié le 10 juillet 2008
Entretien William Christie
« Je suis curieux de tout. »
Entre deux répétitions d’Il Sant’Alessio de Stefano Landi, William Christie nous reçoit dans sa loge du théâtre de Caen. Dans un français mâtiné d’accent anglo-saxon, le chef des Arts florissants nous prévient : il ne nous dira « rien de mal sur ses collègues » et ne nous livrera pas ses déceptions, qu’il « préfère garder pour lui tout seul ». Parole (presque) tenue.
Parmi la myriade d’ensembles français sur instruments anciens, comment se distinguent les Arts florissants ‘
William Christie : Depuis presque trente ans, nous sommes restés fidèles à nos principes et à nos objectifs. Nous défendons des compositeurs dont les œuvres sont délaissées ou oubliées, comme celle de Michel Lambert. En parallèle, nous remettons en question l’interprétation d’œuvres plus connues, de Haendel ou de Monteverdi. Notre démarche implique aussi un travail musicologique, et nous possédons aujourd’hui l’une des plus belles bibliothèques de partitions du monde. Presque tous les jours, on nous appelle de partout pour emprunter notre matériel sur Rameau ou Charpentier. Enfin, par rapport à l’emploi d’instruments anciens, nous n’avons jamais succombé à la facilité et à la tentation des instruments modernes.
Vous avez également lancé le Jardin des voix, une académie de jeunes chanteurs. Les questions pédagogiques semblent au cœur de vos préoccupations…
W. Ch. : Le travail pédagogique est très important. Il n’est pas question de transmettre de maître à élève, mais de vivre l’évolution du mouvement. C’est ce que j’ai fait quand j’étais professeur au Conservatoire de Paris, puis au Jardin des voix. Par ailleurs, les Arts florissants et moi-même avons été nommés artistes en résidence à la Juilliard School de New York, pour l’ouverture du département de musique ancienne en 2009. Nous serons donc à New York trois ou quatre fois dans l’année pour des master-classes, des concerts avec les élèves… Pour un franco-américain comme moi, voir un ensemble français en résidence dans cette prestigieuse école new-yorkaise est une des belles récompenses.
Vous êtes très présent à l’opéra, où vous collaborez avec Luc Bondy, Graham Vick, Adrian Noble. Qu’attendez-vous d’un metteur en scène ‘
« Il reste tant de choses que j’ai envie d’explorer dans les siècles baroque et classique »
W.Ch : J’attends que le texte soit intelligemment interprété, mais avec imagination. Il doit toujours y avoir une complicité entre la fosse et le plateau. En outre, je suis curieux de tout et j’aime que cette musique prenne vie dans un autre contexte. C’est comme voir un bel objet d’art dans une architecture contemporaine. D’ailleurs, pour moi, l’esthétique d’un Robert Carsen est baroque !
Vous venez d’enregistrer La Création de Haydn. Comptez-vous aller plus loin dans l’exploration du répertoire ‘
W.Ch : Je limite mon évolution à Haydn et Mozart. La Création, c’est un aboutissement du baroque. Si l’orchestre de La Création est classique, la rhétorique chorale rend hommage à Haendel. Il reste tant de choses que j’ai envie d’explorer dans les siècles baroque et classique.
Vous dirigez également des orchestres modernes. Que ressort-il de ces expériences ‘
W.Ch. : Une fois par an, je dirige les Berliner Philharmoniker. Cet orchestre est rudement intelligent. Ses instrumentistes ont tous une grande curiosité naturelle. Beaucoup de ces musiciens jouent d’ailleurs des instruments anciens. A l’Opéra de Lyon, je tente l’expérience de faire jouer les cordes avec des boyaux. Mais mon travail avec les formations modernes reste rare. Malheureusement, dans certains orchestres, l’approche de la musique ancienne est pathologique. Si vous abordez ces questions avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris, vous vous faites guillotiner, lyncher.
Comment jugez-vous le système français de financement de la musique ancienne ‘
W.Ch. : Les Arts florissants ont la chance d’être parrainés par la ville de Caen et la région Basse-Normandie. Nous leur donnons ainsi chaque production en primeur. Il y a en plus l’aide de l’Etat et celle de sponsors privés. Il faut dire que la France est exceptionnelle. Si seulement les gens qui se montrent hostiles et ingrats vis-à-vis de l’Etat français savaient combien la vie est difficile ailleurs. Je souhaite ainsi que l’intermittence continue, mais juste pour les artistes. Il faut être bien plus sélectif. Pour la musique, économiquement parlant, la France est un lieu béni.
Propos recueillis par A. Pecqueur