Entretien Jean Duron / Un art qui intègre le goût, la personnalité de chacun
©Photo Pierre François. DR
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Publié le 10 juillet 2008
Entretien Jean Duron /
Un art qui intègre le goût, la personnalité de chacun
Directeur de recherche au Centre de musique baroque de Versailles, le musicologue Jean Duron est l’un des plus fins connaisseurs du répertoire français des XVIIème et XVIIIème siècle. Il a par ailleurs publié de nombreux textes sur la poésie néo-latine contemporaine.
Comment voyez-vous l’évolution de l’interprétation baroque ‘
Jean Duron : Dans la musique de Desmarest, on trouve un certain accord dont, à la lecture, on comprend la logique mais on ne voit pas comment il va sonner. Il y a vingt ans, on le modifiait, on supprimait des altérations. Il y a dix ans, on appuyait dessus pour montrer que cet accord existait mais c’était d’une laideur absolue. Aujourd’hui, on arrive à l’amener doucement, comme il est écrit. Aboutir à ce cheminement prend des années, il faut accepter les gestes que l’on n’osait pas faire. En septembre ont été données à Versailles des œuvres de Charpentier de texture assez complexe (six voix en contrepoint plus deux parties de dessus instrumentaux) que j’entendais pour la première fois ainsi, telles qu’écrites par Charpentier. William Christie et Joël Suhubiette ont donné de ce répertoire des lectures totalement différentes : l’un est tout en finesse et fait ressortir chaque partie, l’autre, en chef de chœur, met en avant les grosses structures, le jeu du contrepoint. Ce sont des œuvres sur lesquelles je travaille depuis des années et ces deux lectures viennent m’enrichir. C’est le charme de la musique ancienne. C’est un art impalpable, éphémère qui intègre le goût, la personnalité de chacun.
Ce travail ne doit-il pas amener une évolution des formes de représentation de la musique ‘
« Il ne se passe pas une année sans qu’on ne découvre des compositeurs qui n’apparaissent dans aucun dictionnaire »
J. D. : C’est évident quand il s’agit, par exemple, de minuscules antiennes comme celles de Moulinié par exemple. Il ne s’agit pas pour nous de recréer la liturgie qui l’encadrait, mais on peut retrouver le contexte musical d’origine, par exemple par des alternances de plain-chant ou d’orgue. De même, quand vous avez des petits airs, tels que ceux publiés par le Mercure de France ou dans les recueils édités par les Ballard, vous ne pouvez pas les enfiler les uns après les autres. Ces airs participaient, dans les salons, à des conversations autour d’un thème, traité lors de ces soirées à travers des poésies, des pièces de luth, de clavecin, de viole… Nous ne sommes pas des nostalgiques : ce qui nous intéresse, c’est comment étaient traitées les passions. Je pense à cette phrase de Marin Mersenne qui décrit comment un acteur devait « être en fureur » ; il distingue trois niveaux de fureur et explique que le cœur du comédien doit s’accélérer au fur et à mesure : le dernier niveau de fureur empêche la voix de parler.
La musicologie peut-elle encore découvrir des chefs-d’œuvre oubliés ‘
J.D. : Bien sûr. Il ne se passe pas une année sans qu’on ne découvre des compositeurs qui n’apparaissent dans aucun dictionnaire. Ce qu’on entend aujourd’hui, ce sont des œuvres provenant de la cour. Mais, à l’époque, toute la France était riche de musique. Avant la Révolution, 600 écoles professionnelles réparties sur tout le territoire, soit à peu près 15000 professionnels rien que pour la musique religieuse. C’est un patrimoine aussi important à restaurer que le patrimoine architectural.
Propos recueillis par Jean-Guillaume Lebrun