La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La musique contemporaine dans tous ses états

Créatrice engagée

Créatrice engagée - Critique sortie
Crédit : Priskka Ketterer

Publié le 17 novembre 2013

La compositrice finlandaise est à l’honneur cette saison en France, où ses œuvres symphoniques sont notamment jouées par les orchestres de Lyon et de Strasbourg. Rencontre avec une figure atypique de la création.

« Ce qui compte vraiment ne peut être évalué en termes monétaires. »

Quel lien gardez-vous avec la Finlande ? Et peut-on retrouver une influence de votre pays d’origine dans votre musique ?

Kaija Saariaho : J’ai vécu en Finlande toute mon enfance, donc ce pays et sa culture m’ont profondément marquée. Je me sens très finlandaise même après toutes ces années en France et ailleurs. J’aime beaucoup la présence simple de la nature en Finlande, avec tous ses éléments : les odeurs, les acoustiques modifiées par les conditions météorologiques – par exemple la pluie qui rend la forêt réverbérante, la neige qui rend la nature silencieuse –, les différents caractères du vent, et la lumière bien sûr, un paramètre très particulier, car les changements tout au long de l’année y sont extrêmes, de l’obscurité à l’éblouissement. Tous ces facteurs ont beaucoup formé ma personne et ma musique.

Pouvez-vous nous décrire les étapes de votre processus d’écriture ?

K.S. : Chaque pièce prend longtemps à naître, et les étapes sont multiples. Avant de commencer l’écriture, j’essaie d’imaginer la musique aussi précisément que possible dans ses détails. Car même si l’écriture est très lente, pour moi le plus long est d’imaginer la musique elle-même. Parfois, je pense à des idées pendant des années avant même de devenir consciente que je vais écrire précisément cette musique, jusqu’au jour où elle monte à la surface de ma conscience.

Quand la totalité du projet est assez claire dans mon esprit, quand j’ai décidé de l’instrumentation et la durée de la pièce, je commence à prendre des notes plus détaillées. J’esquisse un plan en y marquant la durée, les idées formelles et leurs proportions, ainsi que les tempi et les caractères musicaux. Puis je définis les structures harmoniques que je décide d’utiliser pour cette pièce, et réfléchis aussi à la nature rythmique. Après tout cela, je commence à écrire la pièce en progressant du début jusqu’à la fin. Quand la pièce ou une section de la pièce est prête, je l’envoie à mon éditeur qui crée la partition et le matériel pour l’exécution. Mais la partition n’est pas un but en soi : mon travail n’est pas fini avant que la pièce n’ait été jouée et que je puisse être sûre que la musique soit assez clairement communiquée par la partition aux musiciens.

Quel regard portez-vous sur la place du compositeur dans la société actuelle ?

K.S. : Notre société est cruelle pour l’art, et les décisions le concernant sont de plus en plus prises par des technocrates qui surveillent les aspects gestionnaires, s’intéressent surtout aux profits, mais se mêlent aussi de choix artistiques alors qu’ils n’en ont pas les compétences. Or la musique contemporaine n’est guère « valorisable » comparée à d’autres genres musicaux, qui peuvent rapporter rapidement beaucoup d’argent. Pourtant nous savons tous que ce qui compte vraiment ne peut être évalué en termes monétaires. Je voudrais aussi dire combien les discussions récentes concernant les femmes chefs d’orchestre m’ont choquée et déçue. J’ai vécu des situations particulièrement dures, il y a maintenant plus de vingt ou trente ans, parce que j’étais une femme dans mon métier. Jamais je n’aurais pu croire qu’en 2013 le jeune directeur d’un conservatoire mondialement important puisse tenir des propos hérités de ce passé (ndlr : Bruno Mantovani, directeur du CNSM de Paris, explique dans un entretien à France Musique daté d’octobre 2013,  qu’une « femme qui va avoir des enfants peut avoir du mal à avoir une carrière de chef d’orchestre »). J’ai dû pour ma part subir de multiples vexations de la part de vieux messieurs, morts aujourd’hui. Ces gens ne voulaient pas me prendre pour élève, parce qu’ils étaient trop occupés et considéraient qu’une jolie fille devait se marier rapidement, faire des enfants, et donc n’avait pas besoin de leur enseignement. D’autres refusaient d’interpréter ma musique, et même riaient beaucoup à cette idée, ridicule pour eux. Je n’ai pas parlé de tout cela depuis des années, mais maintenant je me dois de rappeler le manque d’égalité et les attitudes absurdes qui existent encore aujourd’hui, en France plus que dans bien d’autres pays malheureusement.

Sur quelle œuvre travaillez-vous actuellement ?

K.S. : Je travaille sur un nouvel opéra pour les Opéras de Paris et d’Amsterdam. Le projet s’intitule « Only the Sound remains », et le livret est fondé sur deux pièces classiques du théâtre nô. Je ne peux pas en dire plus, car je n’ai pas encore fini, et j’ai toujours le sentiment de gâcher l’énergie dont j’ai besoin pour la composition si je parle d’une pièce qui n’existe pas encore.

 

Propos recueillis par Antoine Pecqueur

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