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La formation théâtrale en France

Stanislavski : une pertinence intacte !

Stanislavski : une pertinence intacte ! - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Statufié dans l’histoire du théâtre, vénéré par les uns, déconstruit par les
autres, Stanislavski est en réalité mal connu en France. Comme le souligne
Marie-Christine Autant-Mathieu, directrice de recherche au CNRS-ARIAS, dans
Le Théâtre d’art de Moscou ? Ramifications, Voyages*,
son « système » s’est
peu diffusé dans l’hexagone alors qu?il a connu un formidable retentissement
outre-Atlantique, dans une version très remaniée, celle de l’Actor?s studio.
Quel est son héritage aujourd’hui ?

Comment s’est forgé le « système Stanislavski » ?

Contrairement au « théâtre de représentation », défini par Diderot ou
Coquelin, qui recourt à l’émotion durant les répétitions mais l’évacue lors de
la représentation pour éviter que l’acteur perde son contrôle, le « système
Stanislavski » s’appuie sur le « revivre » ou du « ressenti », empruntant
beaucoup à Ribot, père de la psychologie. En fait, il s’est construit en deux
étapes. Il a d’abord mis l’accent sur l’émotion intérieure : l’acteur doit
fouiller dans sa mémoire émotionnelle pour raviver des souvenirs et trouver son
personnage, les gestes correspondant venant d’eux-mêmes. A la fin de sa vie,
vers 1933, Stanislavski a reformulé son système, en intégrant les évolutions qui
ont secoué la Russie, tant sur le plan politique, avec la Révolution et
l’imposition du matérialisme dialectique, que scientifique, avec l’apparition de
la réflexologie de Pavlov. Il élabore alors la « méthode (ou ligne) des actions
physiques », qui part de l’improvisation pour chercher le comportement du
personnage, autrement dit ses caractéristiques extérieures. L’émotion surgit
d’elle-même et se coule dans ce travail gestuel préalable. Sans jamais
abandonner la recherche intérieure, fondamentale, Stanislavski inverse les
priorités tout en rappelant que chaque mouvement doit être justifié et s’ancrer
dans le ressenti.

Quel fut le retentissement de ce système ?

Paradoxalement, il n?a guère percé en France, même si le Théâtre d’art fondé
par Stanislavski et Nemirovitch-Dantchenko a fasciné lors de sa venue à Paris en
1922 et 1923. Le metteur en scène et pédagogue impressionna Copeau, Dullin,
Jouvet. La diffusion de son enseignement s’est toutefois heurtée aux méfiances
que suscitaient chez les acteurs français des règles perçues comme un carcan.
Elle a également été entravée par un problème de traduction : les Américains
détenant l’exclusivité des droits sur les deux ouvrages majeurs de Stanislavski,
nous n?avons pu disposer jusqu’ici que de traductions de la version américaine,
simplifiée et adaptée pour le lectorat d’outre-Atlantique. Aux Etats-Unis, la
diffusion a été assurée par la diaspora russe, notamment par Boleslavski qui
fonda le Laboratory Theatre, premier maillon d’une chaîne de transmission (et
d’inévitable déformation) qui aboutit à l’Actor?s studio et « la méthode » de
Lee Strasberg encore en vigueur aujourd’hui. Le « système » a également exercé
une grande influence en Asie et en Amérique latine.

« Chaque mouvement doit être justifié et s’ancrer dans le
ressenti. »

Que reste-t-il de son héritage ?

L’approche de Stanislavski est née dans un certain contexte historique et
littéraire, marqué par Ibsen, Hauptmann, Gorki, Tolstoï et Tchékhov. Elle s’est
révélée parfaitement adaptée aux pièces réalistes qui donnent aux personnages
une profondeur psychologique. En revanche, elle a dû évoluer pour aborder les
nouvelles écritures, telles que le théâtre de l’absurde. De nos jours, les
acteurs russes formés selon le « système », ceux qui travaillent avec Fomenko ou
Dodine par exemple, savent tout jouer ! En France, l’héritage nous est parvenu
partiellement à travers Vitez, qui fut le premier à consacrer un article à la
« méthode des actions physiques » en 1953, alors qu’il était secrétaire de Louis
Aragon. Partiellement parce que Vitez était trop grand pour se laisser enfermer
dans un seul héritage. Stanislavski a dégagé des bases du jeu à partir d’une
stricte observation des lois de la nature, bases qui ont gardé toute leur
pertinence aujourd’hui : en particulier, la recherche des résonances
émotionnelles du rôle à l’intérieur de soi, le travail de l’imagination, la
préparation physique quotidienne à partir d’exercices et la circulation de
l’énergie, la concentration dans le « cercle de l’attention », une discipline du
corps et de l’esprit. Il a aussi et surtout légué l’idée que le comédien n?est
pas un exécutant, mais un artiste, qui porte une dimension spirituelle et doit
élever le spectateur au dessus de sa condition quotidienne.

Entretien réalisé par Gwénola David

* Le Théâtre d’art de Moscou ? Ramifications, Voyages, sous la
direction de Marie-Christine Autant-Mathieu, éditions CNRS, 2005.

 

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