La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

L’art de mettre au monde l’acteur.

L’art de mettre au monde l’acteur. - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Pour Ariane Mnouchkine, le metteur en scène n?est pas un enseignant qui
serait apte à transmettre un savoir. C’est un praticien qui cherche à entraîner
et cultiver le don humble et aventureux de l’acteur, ouvert sur l’imaginaire.

Est-ce qu’il peut y avoir un enseignement pur du théâtre ?

Ariane Mnouchkine : Non. L’art de la mise en scène est une maïeutique,
telle une sage-femme qui peut aider celle qui va accoucher, mais ne peut pas
montrer comment on met au monde. On ne fabrique pas un acteur. Chaque mise en
scène est un départ en expédition qui véhicule des lois mercurielles et
volatiles, dont nous sommes fort oublieux. Mais l’énoncé de ces lois ne suffit
pas, une loi n?est pas immédiatement applicable par le comédien. Le comédien
croit qu’il écoute, il n?écoute pas, il imagine, il répond à un cliché. Le
metteur en scène têtu et exigeant reste un pédagogue. La versification, la
diction, la respiration et le chant sont des disciplines techniques dont le
metteur en scène n?est pas le meilleur enseignant. Comment restituer la façon de
dire un vers qui ne soit pas un corset ? L’apport du metteur en scène n?est pas
technique, mais relèverait plutôt d’un entraînement à cultiver ce don de la
crédulité, là où commence le mystère. Certains acteurs trébuchent, bégayent mais
ils croient, tandis que d’autres ont de la bouteille dans le métier, mais ne
croient pas. Se faire passer après fait partie du don.

Peut-on être comédien quand on n?a pas de don ?

A. M. : Chaque être humain a un don, certains sont plus favorisés que
d’autres. L’acteur fraie avec l’imaginaire en travaillant, en ne laissant jamais
le soi ni l’intellect passer devant. Une troupe reste tout de même la meilleure
école. Un enseignant peut transmettre certaines parties techniques, mais le
rapport au jeu et à l’émotion théâtrale n?est pas technique. Le présent n?est
pas technique. Si un acteur ou un metteur en scène est trop à l’écoute de
lui-même, la liberté de création n?advient ni pour l’un ni pour l’autre. Manque
ce vide fertile où les choses lèvent, puis trouvent leur forme. Je suis certaine
que beaucoup ont ce don mais que les circonstances de la vie ont fait qu’ils
n?ont pas pu le découvrir. Je ne pense pas que tous les acteurs soient bons, il
y en a de bien meilleurs que d’autres, de bien plus avancés que d’autres.
Certains, même s’ils ne sont pas en état de grâce tout le temps, sont des
comédiens, car ils ont cette capacité de croire dont je parlais, même
l’invraisemblable.

« Un enseignant peut transmettre certaines parties techniques, mais le
rapport au jeu et à l’émotion théâtrale n?est pas technique. Le présent n?est
pas technique.
»

Une répétition contient beaucoup d’amour, de joie et de souffrance.

A. M. : L’amour n?exclut pas la colère. Je me mets en colère contre
moi-même quand je ne parviens pas à obtenir ce que je voudrais avoir ou que je
pense que je devrais avoir. L’acteur et l’actrice ont d’abord besoin d’espace,
de temps et de clarté.

Les acteurs apprenaient autrefois hors école parce qu’ils étaient liés
intimement à d’autres acteurs plus âgés.

A. M. : Dans les grandes familles de théâtre de nô ou de kabuki, l’école
n?existe pas : c’est la famille, et c’est aussi la troupe. Un jeune vient, qui
apporte un tabouret pour voir et entendre des acteurs autour de lui qui jouent
bien, ce qui signifie « qui vivent bien ». Ils sont dans la vérité, dans la
musique et dans le rythme où les choses sont épurées, hors de tout encombrement.
Des évidences qui sont des lois.

Les écoles de théâtre sont aujourd’hui nécessaires.

A. M. : Les écoles de théâtre, très utiles, devraient être aussi des
préparations à la vie, et non au marché. Je suis triste quand je vois que les
apprentis comédiens pensent que le rôle de l’école est de les lancer sur le
marché. L’école leur apprend plutôt la vie et comment la transformer.

Par quoi finalement passe la transmission ?

A. M. : La transmission passe par la parole, les images, les sensations,
les intonations et les silences. Dans un autre registre, les classes théâtre
dans les lycées non seulement doivent subsister mais se multiplier car elles
changent le regard des enfants face au monde. Voilà la vraie conquête.

Propos recueillis par Véronique Hotte

 

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